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La Gnose, août à novembre 1911, article inédit signé Palingenius |
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Les néo-spiritualistes Dès le début de la publication de notre Revue2, nous avons répudié très nettement, car il nous importait tout particulièrement de ne laisser subsister à ce sujet aucune équivoque dans l’esprit de nos lecteurs, nous avons, disons-nous, répudié toute solidarité avec les différentes écoles dites spiritualistes, qu’il s’agisse des occultistes, des théosophistes, des spirites, ou de tout autre groupement plus ou moins similaire. En effet, toutes ces opinions, que l’on peut réunir sous la dénomination commune de « néo-spiritualistes »3, n’ont pas plus de rapports avec la Métaphysique, qui seule nous intéresse, que n’en peuvent avoir les diverses écoles scientifiques ou philosophiques de l’Occident moderne4 ; et elles présentent en outre, en vertu de leurs prétentions injustifiées et peu raisonnables, le grave inconvénient de pouvoir créer, chez les gens insuffisamment informés, des confusions extrêmement regrettables, n’aboutissant à rien moins qu’à faire rejaillir sur d’autres, dont nous sommes, quelque chose du discrédit qui devrait les atteindre seules, et fort légitimement, auprès de tous les hommes sérieux. C’est pourquoi nous estimons n’avoir aucun ménagement à garder vis-à-vis des théories en question, d’autant plus que, si nous le faisions, nous sommes certain que leurs représentants plus ou moins autorisés, loin d’agir de même à notre égard, ne nous en seraient nullement reconnaissants, et ne nous en témoigneraient pas moins d’hostilité ; ce serait donc, de notre part, une pure faiblesse qui ne nous serait d’aucun profit, bien au contraire, et que pourraient toujours nous reprocher ceux qui connaissent là-dessus nos véritables sentiments. Nous n’hésitons donc pas à déclarer que nous considérons toutes ces théories néo-spiritualistes, dans leur ensemble, comme non moins fausses dans leur principe même et nuisibles pour la mentalité publique que l’est à nos yeux, ainsi que nous l’avons déjà dit précédemment5, la tendance moderniste, sous quelque forme et en quelque domaine qu’elle se manifeste6. En effet, s’il est un point au moins sur lequel le Catholicisme, dans son orientation actuelle, a toutes nos sympathies, c’est bien en ce qui concerne sa lutte contre le modernisme. Il paraît se préoccuper beaucoup moins du néo-spiritualisme, qui, il est vrai, a peut-être pris une moins grande et moins rapide extension, et qui d’ailleurs se tient plutôt en dehors de lui et sur un autre terrain, de telle sorte que le Catholicisme ne peut guère faire autre chose que d’en signaler les dangers à ceux de ses fidèles qui risqueraient de se laisser séduire par des doctrines de ce genre. Mais, si quelqu’un, se plaçant en dehors de toute préoccupation confessionnelle, et par conséquent dans un champ d’action beaucoup plus étendu, trouvait un moyen pratique d’arrêter la diffusion de tant de divagations et d’insanités plus ou moins habilement présentées, suivant qu’elles le sont par des hommes de mauvaise foi ou par de simples imbéciles, et qui, dans l’un et l’autre cas, ont déjà contribué à détraquer irrémédiablement un si grand nombre d’individus, nous estimons que celui-là accomplirait, en ce faisant, une véritable œuvre de salubrité mentale, et rendrait un éminent service à une fraction considérable de l’humanité occidentale actuelle7. Tel ne peut être notre rôle, à nous qui, par principe, nous interdisons formellement toute polémique, et nous tenons à l’écart de toute action extérieure et de toute lutte de partis. Cependant, sans sortir du domaine strictement intellectuel, nous pouvons, lorsque l’occasion s’en présente à nous, montrer l’absurdité de certaines doctrines ou de certaines croyances, et parfois souligner certaines déclarations des spiritualistes eux-mêmes, pour montrer le parti qu’on en peut tirer contre leurs propres affirmations doctrinales, car la logique n’est pas toujours leur fait, et l’incohérence est chez eux un défaut assez répandu, visible pour tous ceux qui ne se laissent pas prendre aux mots plus ou moins pompeux, aux phrases plus ou moins déclamatoires, qui bien souvent ne recouvrent que le vide de la pensée. C’est dans le but que nous venons d’indiquer que nous ouvrons aujourd’hui la présente rubrique, nous réservant de la reprendre toutes les fois que nous le jugerons à propos, et souhaitant que nos remarques, faites au hasard des lectures et des recherches qui attireront incidemment notre attention sur les théories incriminées, puissent, s’il en est temps encore, ouvrir les yeux des personnes de bonne foi qui se sont égarées parmi les néo-spiritualistes, et dont quelques-unes au moins seraient peut-être dignes d’un meilleur sort. Déjà, à maintes reprises, nous avons déclaré que nous rejetons absolument les hypothèses fondamentales du spiritisme, à savoir la réincarnation8, la possibilité de communiquer avec les morts par des moyens matériels9, et la prétendue démonstration expérimentale de l’immortalité humaine10. D’ailleurs, ces théories ne sont pas propres aux seuls spirites, et, en particulier, la croyance à la réincarnation est partagée par la majorité d’entre eux11 avec les théosophistes et un grand nombre d’occultistes de différentes catégories. Nous ne pouvons rien admettre de ces doctrines, car elles sont formellement contraires aux principes les plus élémentaires de la Métaphysique ; de plus, et pour cette raison même, elles sont nettement antitraditionnelles ; du reste, elles n’ont été inventées que dans le cours du XIXe siècle, bien que leurs partisans s’efforcent par tous les moyens possibles, en torturant et dénaturant des textes, de faire croire qu’elles remontent à la plus haute antiquité. Ils emploient pour cela les arguments les plus extraordinaires et les plus inattendus ; c’est ainsi que nous avons vu tout récemment, dans une revue que nous aurons la charité de ne pas nommer, le dogme catholique de la « résurrection de la chair » interprété dans un sens réincarnationniste ; et encore c’est un prêtre, sans doute fortement suspect d’hétérodoxie, qui ose soutenir de pareilles affirmations ! Il est vrai que la réincarnation n’a jamais été condamnée explicitement par l’Église Catholique, et certains occultistes le font remarquer à tout propos avec une évidente satisfaction ; mais ils ne paraissent pas se douter que, s’il en est ainsi, c’est tout simplement parce qu’il n’était pas même possible de soupçonner qu’il viendrait un jour où l’on imaginerait une telle folie. Quant à la « résurrection de la chair », ce n’est, en réalité, qu’une façon fautive de désigner la « résurrection des morts », qui, ésotériquement12, peut correspondre à ce que l’être qui réalise en soi l’Homme Universel retrouve, dans sa totalité, les états qui étaient considérés comme passés par rapport à son état actuel, mais qui sont éternellement présents dans la « permanente actualité de l’être extra-temporel »13. Dans un autre article de la même revue, nous avons relevé un aveu involontaire, voire même tout à fait inconscient, qui est assez amusant pour mériter d’être signalé en passant. Un spiritualiste déclare que « la vérité est dans le rapport exact du contingent à l’absolu » ; or ce rapport, étant celui du fini à l’infini, ne peut être que rigoureusement égal à zéro ; tirez vous-mêmes la conclusion, et voyez si après cela il subsiste encore quelque chose de cette prétendue « vérité spiritualiste », qu’on nous présente comme une future « évidence expérimentale » ! Pauvre « enfant humain » (sic)14, « psycho-intellectuel », qu’on veut « alimenter » avec une telle vérité (?), et à qui l’on veut faire croire qu’il est « fait pour la connaître, l’aimer et la servir », fidèle imitation de ce que le catéchisme catholique enseigne à l’égard de son Dieu anthropomorphe ! Comme cet « enseignement spiritualiste » paraît, dans l’intention de ses promoteurs, se proposer surtout un but sentimental et moral, nous nous demandons si c’est bien la peine de vouloir, aux vieilles religions qui, malgré tous leurs défauts, avaient du moins une valeur incontestable à ce point de vue relatif15, substituer des conceptions bizarres qui ne les remplaceront avantageusement sous aucun rapport, et qui, surtout, seront parfaitement incapables de remplir le rôle social auquel elles prétendent. Revenons à la question de la réincarnation : ce n’est pas ici le lieu d’en démontrer l’impossibilité métaphysique, c’est-à-dire l’absurdité ; nous avons déjà donné tous les éléments de cette démonstration16, et nous la compléterons en d’autres études. Pour le moment, nous devons nous borner à voir ce qu’en disent ses partisans eux-mêmes, afin de découvrir la base que cette croyance peut avoir dans leur entendement. Les spirites veulent surtout démontrer la réincarnation « expérimentalement » (?), par des faits, et certains occultistes les suivent dans ces recherches, qui, naturellement, n’ont encore abouti à rien de probant, non plus qu’en ce qui concerne la « démonstration scientifique de l’immortalité ». D’un autre côté, la plupart des théosophistes ne voient, paraît-il, dans la théorie réincarnationniste qu’une sorte de dogme, d’article de foi, qu’on doit admettre pour des motifs d’ordre sentimental, mais dont il serait impossible de donner aucune preuve rationnelle ou sensible. Nous prions nos lecteurs de nous excuser si, dans la suite, nous ne pouvons donner toutes les références d’une façon précise, car il est des gens que peut-être la vérité offenserait. Mais, pour faire comprendre le raisonnement par lequel quelques occultistes essayent de prouver la réincarnation, il est nécessaire que nous prévenions tout d’abord que ceux auxquels nous faisons allusion sont partisans du système géocentrique : ils regardent la Terre comme le centre de l’Univers, soit matériellement, au point de vue de l’astronomie physique même, comme Auguste Strindberg et divers autres17, soit au moins, s’ils ne vont pas jusque-là, par un certain privilège en ce qui concerne la nature de ses habitants. Pour eux, en effet, la Terre est le seul monde où il y ait des êtres humains, parce que les conditions de la vie dans les autres planètes ou dans les autres systèmes sont trop différentes de celles de la Terre pour qu’un homme puisse s’y adapter ; il résulte de là que, par « homme », ils entendent exclusivement un individu corporel, doué des cinq sens physiques, des facultés correspondantes (sans oublier le langage parlé… et même écrit), et de tous les organes nécessaires aux diverses fonctions de la vie humaine terrestre. Ils ne conçoivent pas que l’homme existe sous d’autres formes de vie que celle-là18, ni, à plus forte raison, qu’il puisse exister en mode immatériel, informel, extra-temporel, extra-spatial, et, surtout, en dehors et au-delà de la vie19. Par suite, les hommes ne peuvent se réincarner que sur la Terre, puisqu’il n’y a aucun autre lieu dans l’Univers où il leur soit possible de vivre ; remarquons d’ailleurs que ceci est contraire à plusieurs autres conceptions, suivant lesquelles l’homme « s’incarnerait » dans diverses planètes, comme l’admit Louis Figuier20, ou en divers mondes, soit simultanément, comme l’imagina Blanqui21, soit successivement, comme tendrait à l’impliquer la théorie du « retour éternel » de Nietzsche22 ; certains ont même été jusqu’à prétendre que l’individu humain pouvait avoir plusieurs « corps matériels » (sic)23 vivant en même temps dans différentes planètes du monde physique24. Nous devons encore ajouter que les occultistes dont nous avons parlé joignent à la doctrine géocentrique son accompagnement habituel, la croyance à l’interprétation littérale et vulgaire des Écritures ; ils ne perdent aucune occasion de se moquer publiquement des triples et septuples sens des ésotéristes et des kabbalistes25. Donc, suivant leur théorie, conforme à la traduction exotérique de la Bible, à l’origine, l’homme, « sortant des mains du Créateur » (nous pensons qu’on ne pourra pas nier que ce soit là de l’anthropomorphisme), fut placé sur la Terre pour « cultiver son jardin », c’est-à-dire, selon eux, pour « évoluer la matière physique », supposée plus subtile alors qu’aujourd’hui. Par « l’homme », il faut entendre ici la collectivité humaine tout entière, la totalité du genre humain, de telle sorte que « tous les hommes », sans aucune exception, et en nombre inconnu, mais assurément fort grand, furent d’abord incarnés en même temps sur la Terre26. Dans ces conditions, il ne pouvait évidemment se produire aucune naissance, puisqu’il n’y avait aucun homme non incarné, et il en fut ainsi tant que l’homme ne mourut pas, c’est-à-dire jusqu’à la « chute », entendue dans son sens exotérique, comme un fait historique27, mais que l’on considère cependant comme « pouvant représenter toute une suite d’événements qui ont dû se dérouler au cours d’une période de plusieurs siècles ». On consent donc tout de même à élargir un peu la chronologie biblique ordinaire, qui se trouve à l’aise pour situer toute l’histoire, non seulement de la Terre, mais du Monde, depuis la création jusqu’à nos jours, dans une durée totale d’un peu moins de six mille ans (quelques-uns vont pourtant jusqu’à près de dix mille)28. À partir de la « chute », la matière physique devint plus grossière, ses propriétés furent modifiées, elle fut soumise à la corruption, et les hommes, emprisonnés dans cette matière, commencèrent à mourir, à « se désincarner » ; ensuite, ils commencèrent également à naître, car ces hommes « désincarnés », restés « dans l’espace » (?), dans l’« atmosphère invisible » de la Terre, tendaient à « se réincarner », à reprendre la vie physique terrestre dans de nouveaux corps humains. Ainsi, ce sont toujours les mêmes êtres humains (au sens de l’individualité corporelle restreinte, il ne faut pas l’oublier) qui doivent renaître périodiquement du commencement à la fin de l’humanité terrestre29. Comme on le voit, ce raisonnement est fort simple et parfaitement logique, mais à la condition d’en admettre d’abord le point de départ, à savoir l’impossibilité pour l’être humain d’exister dans des modalités autres que la forme corporelle terrestre, ce qui, nous le répétons n’est en aucune façon conciliable avec les notions même élémentaires de la Métaphysique ; et il paraît que c’est là l’argument le plus solide que l’on puisse fournir à l’appui de l’hypothèse de la réincarnation ! Nous ne pouvons pas, en effet, prendre un seul instant au sérieux les arguments d’ordre moral et sentimental, basés sur la constatation d’une prétendue injustice dans l’inégalité des conditions humaines. Cette constatation provient uniquement de ce qu’on envisage toujours des faits particuliers, en les isolant de l’ensemble dont ils font partie, alors que, si on les replace dans cet ensemble, il ne saurait y avoir évidemment aucune injustice, ou, pour employer un terme à la fois plus exact et plus étendu, aucun déséquilibre30, puisque ces faits sont, comme tout le reste, des éléments de l’harmonie totale. Nous nous sommes d’ailleurs suffisamment expliqué sur cette question, et nous avons montré que le mal n’a aucune réalité, que ce qu’on appelle ainsi n’est qu’une relativité considérée analytiquement et que, au-delà de ce point de vue spécial de la mentalité humaine, l’imperfection est nécessairement illusoire, car elle ne peut exister que comme élément du Parfait, lequel ne saurait évidemment contenir rien d’imparfait31. Il est facile de comprendre que la diversité des conditions humaines ne provient pas d’autre chose que des différences de nature qui existent entre les individus eux-mêmes, qu’elle est inhérente à la nature individuelle des êtres humains terrestres, et qu’elle n’est pas plus injuste ni moins nécessaire (étant du même ordre, quoique à un autre degré) que la variété des espèces animales et végétales, contre laquelle personne n’a encore jamais songé à protester au nom de la justice, ce qui serait d’ailleurs parfaitement ridicule32. Les conditions spéciales de chaque individu concourent à la perfection de l’être total dont cet individu est une modalité ou un état particulier, et, dans la totalité de l’être, tout est relié et équilibré par l’enchaînement harmonique des causes et des effets33 ; mais, lorsqu’on parle de causalité, quiconque possède la moindre notion métaphysique ne peut entendre par là rien qui ressemble de près ou de loin à la conception mystico-religieuse des récompenses et des punitions34, qui, après avoir été appliquée à une « vie future » extra-terrestre, l’a été par les néo-spiritualistes à de prétendues « vies successives » sur la Terre, ou tout au moins dans le monde physique35. Les spirites surtout ont particulièrement abusé de cette conception tout anthropomorphiste, et en ont tiré des conséquences qui vont souvent jusqu’à la plus extrême absurdité. Tel est l’exemple bien connu de la victime qui poursuit jusque dans une autre existence sa vengeance contre son meurtrier : l’assassiné deviendra alors assassin à son tour, et le meurtrier, devenu victime, devra se venger encore dans une nouvelle existence… et ainsi de suite indéfiniment. Un autre exemple du même genre est celui du cocher qui écrase un piéton ; par punition, le cocher, devenu piéton dans sa vie suivante, sera écrasé par le piéton devenu cocher ; mais, logiquement, celui-ci devra ensuite subir la même punition, de sorte que ces deux malheureux individus seront obligés de s’écraser ainsi alternativement l’un l’autre jusqu’à la fin des siècles, car il n’y a évidemment aucune raison pour que cela s’arrête. Nous devons du reste, pour être impartial, ajouter que, sur ce point, certains occultistes ne le cèdent en rien aux spirites, car nous avons entendu l’un d’eux raconter l’histoire suivante, comme exemple des conséquences effrayantes que peuvent entraîner des actes considérés généralement comme assez indifférents36 : un écolier s’amuse à briser une plume, puis la jette ; les molécules du métal garderont, à travers toutes les transformations qu’elles auront à subir, le souvenir de la méchanceté dont cet enfant a fait preuve à leur égard ; finalement, après quelques siècles, ces molécules passeront dans les organes d’une machine quelconque, et, un jour, un accident se produira, et un ouvrier mourra broyé par cette machine ; or il se trouvera justement que cet ouvrier sera l’écolier dont il a été question, qui se sera réincarné pour subir le châtiment de son acte antérieur37. Il serait assurément difficile d’imaginer quelque chose de plus extravagant que de semblables contes fantastiques, qui suffisent pour donner une juste idée de la mentalité de ceux qui les inventent, et surtout de ceux qui y croient. Une conception qui se rattache assez étroitement à celle de la réincarnation, et qui compte aussi de nombreux partisans parmi les néo-spiritualistes, est celle d’après laquelle chaque être devrait, au cours de son évolution, passer successivement par toutes les formes de vie, terrestres et autres38. À ceci, il n’y a qu’un mot à répondre : une telle théorie est une impossibilité, pour la simple raison qu’il existe une indéfinité de formes vivantes par lesquelles un être quelconque ne pourra jamais passer, ces formes étant toutes celles qui sont occupées par les autres êtres. Il est donc absurde de prétendre qu’un être, pour parvenir au terme de son évolution, doit parcourir toutes les possibilités envisagées individuellement, puisque cet énoncé renferme une impossibilité ; et nous pouvons voir ici un cas particulier de cette conception entièrement fausse, si répandue en Occident, selon laquelle on ne pourrait arriver à la synthèse que par l’analyse, alors que, au contraire, il est impossible d’y parvenir de cette façon39. Quand bien même un être aurait parcouru ainsi une indéfinité de possibilités, toute cette évolution ne pourrait jamais être que rigoureusement égale à zéro par rapport à la Perfection, car l’indéfini, procédant du fini et étant produit par lui (comme le montre clairement la génération des nombres), donc y étant contenu en puissance, n’est en somme que le développement des potentialités du fini, et, par conséquent, ne peut évidemment avoir aucun rapport avec l’Infini, ce qui revient à dire que, considéré de l’Infini (ou de la Perfection, qui est identique à l’Infini), il ne peut être que zéro40. La conception analytique de l’évolution revient donc à ajouter indéfiniment zéro à lui-même, par une indéfinité d’additions distinctes et successives, dont le résultat final sera toujours zéro ; on ne peut sortir de cette suite stérile d’opérations analytiques que par l’intégration, et celle-ci s’effectue d’un seul coup, par une synthèse immédiate et transcendante, qui n’est logiquement précédée d’aucune analyse41. D’autre part, puisque, comme nous l’avons expliqué à diverses reprises, le monde physique tout entier, dans le déploiement intégral de toutes les possibilités qu’il contient, n’est que le domaine de manifestation d’un seul état d’être individuel, ce même état d’être contient en lui, a fortiori, les potentialités correspondantes à toutes les modalités de la vie terrestre, qui n’est qu’une portion très restreinte du monde physique. Donc, si le développement complet de l’individualité actuelle, qui s’étend indéfiniment au-delà de la modalité corporelle, embrasse toutes les potentialités dont les manifestations constituent l’ensemble du monde physique, elle embrasse en particulier toutes celles qui correspondent aux diverses modalités de la vie terrestre. Ceci rend donc inutile la supposition d’une multiplicité d’existences à travers lesquelles l’être s’élèverait progressivement de la modalité de vie la plus inférieure, celle du minéral, jusqu’à la modalité humaine, considérée comme la plus élevée, en passant successivement par le végétal et l’animal, avec toute la multiplicité de degrés que comporte chacun de ces règnes. L’individu, dans son extension intégrale, contient simultanément les possibilités qui correspondent à tous ces degrés ; cette simultanéité ne se traduit en succession temporelle que dans le développement de son unique modalité corporelle, au cours duquel, comme le montre l’embryologie, il passe en effet par tous les stades correspondants, depuis la forme unicellulaire des êtres organisés les plus élémentaires, et même, en remontant plus haut encore, depuis le cristal (qui présente d’ailleurs plus d’une analogie avec ces êtres rudimentaires)42, jusqu’à la forme humaine terrestre. Mais, pour nous, ces considérations ne sont nullement une preuve de la théorie « transformiste », car nous ne pouvons regarder que comme une pure hypothèse la prétendue loi d’après laquelle « l’ontogénie serait parallèle à la phylogénie » ; en effet, si le développement de l’individu, ou ontogénique, est constatable par l’observation directe, personne n’oserait prétendre qu’il puisse en être de même du développement de l’espèce, ou phylogénique43. D’ailleurs, même dans le sens restreint que nous venons d’indiquer, le point de vue de la succession perd presque tout son intérêt par la simple remarque que le germe, avant tout développement, contient déjà en puissance l’être complet ; et ce point de vue doit toujours demeurer subordonné à celui de la simultanéité, auquel nous conduit nécessairement la théorie métaphysique des états multiples de l’être. Donc, en laissant de côté la considération essentiellement relative du développement embryogénique de la modalité corporelle (considération qui ne peut être pour nous que l’indication d’une analogie par rapport à l’individualité intégrale), il ne peut être question, en raison de l’existence simultanée, dans l’individu, de l’indéfinité des modalités vitales, ou, ce qui revient au même, des possibilités correspondantes, il ne peut, disons-nous, être question que d’une succession purement logique (et non temporelle), c’est-à-dire d’une hiérarchisation de ces modalités ou de ces possibilités dans l’extension de l’état d’être individuel, dans lequel elles ne se réalisent pas corporellement. À ce propos, et pour montrer que ces conceptions ne nous sont pas particulières, nous avons pensé qu’il serait intéressant de reproduire ici quelques extraits du chapitre consacré à cette question dans les cahiers d’enseignement d’une des rares Fraternités initiatiques sérieuses qui existent encore actuellement en Occident44. « Dans la descente de la vie dans les conditions extérieures, la monade a eu à traverser chacun des états du monde spirituel, puis les royaumes de l’empire astral45, pour apparaître enfin sur le plan externe, celui qui est le plus bas possible, c’est-à-dire le minéral. À partir de là, nous la voyons pénétrer successivement les vagues de vie minérale, végétale et animale de la planète. En vertu des lois supérieures et plus intérieures de son cycle spécial, ses attributs divins cherchent toujours à se développer dans leurs potentialités emprisonnées. Aussitôt qu’une forme en est pourvue, et que ses capacités sont épuisées46, une autre forme nouvelle et de degré plus élevé est mise en réquisition ; ainsi, chacune à son tour devient de plus en plus complexe de structure, de plus en plus diversifiée en ses fonctions. C’est ainsi que nous voyons la monade vivante commencer au minéral, dans le monde extérieur, puis la grande spirale de son existence évolutionnaire s’avancer lentement, imperceptiblement, mais cependant progresser toujours47. Il n’y a pas de forme trop simple ni d’organisme trop complexe pour la faculté d’adaptation d’une puissance merveilleuse, inconcevable, que possède l’âme humaine. Et, à travers le cycle entier de la Nécessité, le caractère de son génie, le degré de son émanation spirituelle, et les états auxquels elle appartient à l’origine, sont conservés strictement, avec une exactitude mathématique48. » « Pendant le cours de son involution, la monade n’est réellement incarnée dans aucune forme, quelle qu’elle soit. Le cours de sa descente à travers les divers règnes s’accomplit par une polarisation graduelle de ses pouvoirs divins, due à son contact avec les conditions d’externisation graduelle de l’arc descendant et subjectif du cycle spiral. » « C’est une vérité absolue qu’exprime l’adepte auteur de Ghost-Land, lorsqu’il dit que, en tant qu’être impersonnel, l’homme vit dans une indéfinité de mondes avant d’arriver à celui-ci. Dans tous ces mondes, l’âme développe ses états rudimentaires, jusqu’à ce que son progrès cyclique la rende capable d’atteindre49 l’état spécial dont la fonction glorieuse est de conférer à cette âme la conscience. C’est à ce moment seulement qu’elle devient véritablement un homme ; à tout autre instant de son voyage cosmique, elle n’est qu’un être embryonnaire, une forme passagère, une créature impersonnelle, en laquelle brille une partie, mais une partie seulement de l’âme humaine non individualisée. » « Lorsque le grand étage de conscience, sommet de la série des manifestations matérielles, est atteint, jamais l’âme ne rentrera dans la matrice de la matière, ne subira l’incarnation matérielle ; désormais, ses renaissances sont dans le royaume de l’esprit. Ceux qui soutiennent la doctrine étrangement illogique de la multiplicité des naissances humaines n’ont assurément jamais développé en eux-mêmes l’état lucide de Conscience spirituelle ; sinon, la théorie de la réincarnation, affirmée et soutenue aujourd’hui par un grand nombre d’hommes et de femmes versés dans la « sagesse mondaine », n’aurait pas le moindre crédit. Une éducation extérieure est relativement sans valeur comme moyen d’obtenir la Connaissance véritable. » On ne trouve dans la nature aucune analogie en faveur de la réincarnation, tandis que, en revanche, on en trouve de nombreuses dans le sens contraire. « Le gland devient chêne, la noix de coco devient palmier ; mais le chêne a beau donner des myriades d’autres glands, il ne devient plus jamais gland lui-même ; ni le palmier ne redevient plus noix. De même pour l’homme : dès que l’âme s’est manifestée sur le plan humain, et a ainsi atteint la conscience de la vie extérieure, elle ne repasse plus jamais par aucun de ses états rudimentaires. » « Une publication récente affirme que « ceux qui ont mené une vie noble et digne d’un roi (fût-ce même dans le corps d’un mendiant), dans leur dernière existence terrestre, revivront comme nobles, rois, ou autres personnages de haut rang » ! Mais nous savons ce que les rois et les nobles ont été dans le passé et sont dans le présent, souvent les pires spécimens de l’humanité qu’il soit possible de concevoir, au point de vue spirituel. De telles assertions ne sont bonnes qu’à prouver que leurs auteurs ne parlent que sous l’inspiration de la sentimentalité, et que la Connaissance leur manque. » « Tous les prétendus « réveils de souvenirs » latents, par lesquels certaines personnes assurent se rappeler leurs existences passées, peuvent s’expliquer, et même ne peuvent s’expliquer que par les simples lois de l’affinité et de la forme. Chaque race d’êtres humains, considérée en soi-même, est immortelle ; il en est de même de chaque cycle : jamais le premier cycle ne devient le second, mais les êtres du premier cycle sont (spirituellement) les parents, ou les générateurs, de ceux du second cycle50. Ainsi, chaque cycle comprend une grande famille constituée par la réunion de divers groupements d’âmes humaines, chaque condition étant déterminée par les lois de son activité, celles de sa forme et celles de son affinité : une trinité de lois. » « C’est ainsi que l’homme peut être comparé au gland et au chêne : l’âme embryonnaire, non individualisée, devient un homme tout comme le gland devient un chêne, et, de même que le chêne donne naissance à une quantité innombrable de glands, de même l’homme fournit à son tour à une indéfinité d’âmes les moyens de prendre naissance dans le monde spirituel. Il y a correspondance complète entre les deux, et c’est pour cette raison que les anciens Druides rendaient de si grands honneurs à cet arbre, qui était honoré au-delà de tous les autres par les puissants Hiérophantes. » On voit par là combien les Druides étaient loin d’admettre la « transmigration » au sens ordinaire et matériel du mot, et combien peu ils songeaient à la théorie, qui, nous le répétons, est toute moderne, de la réincarnation. Nous avons vu récemment, dans une revue spirite étrangère, un article dont l’auteur critiquait, avec juste raison, l’idée saugrenue de ceux qui, annonçant pour un temps prochain la « seconde venue » du Christ, la présentent comme devant être une réincarnation51. Mais où la chose devient plutôt amusante, c’est lorsque ce même auteur déclare que, s’il ne peut admettre cette thèse, c’est tout simplement parce que, selon lui, le retour du Christ est dès maintenant un fait accompli… par le spiritisme ! « Il est déjà venu, dit-il, puisque, dans certains centres, on enregistre ses communications. » Vraiment, il faut avoir une foi bien robuste pour pouvoir croire ainsi que le Christ et ses Apôtres se manifestent dans des séances spirites et parlent par l’organe des médiums ! S’il est des gens à qui une croyance est nécessaire (et il semble que ce soit le cas de l’immense majorité des Occidentaux), nous n’hésitons pas à affirmer combien nous préférons encore celle du catholique le moins éclairé, ou même la foi du matérialiste sincère, car c’en est une aussi52. Comme nous l’avons déjà dit, nous considérons le néo-spiritualisme, sous quelque forme que ce soit, comme absolument incapable de remplacer les anciennes religions dans leur rôle social et moral, et pourtant c’est certainement là le but qu’il se propose, d’une façon plus ou moins avouée. Nous avons fait allusion précédemment, en particulier, aux prétentions de ses promoteurs en ce qui concerne l’enseignement ; nous venons encore de lire un discours prononcé sur ce sujet par l’un d’eux. Quoi qu’il en dise, nous trouvons très peu « équilibré » le « spiritualisme libéral » de ces « aviateurs de l’esprit » (?!), qui, voyant dans l’atmosphère « deux colossaux nimbus chargés jusqu’à la gueule (sic) d’électricités contraires », se demandent « comment éviter des séries d’éclairs, des gammes de tonnerre (sic), des chutes de foudre », et qui, malgré ces présages menaçants, veulent « affronter la liberté de l’enseignement » comme d’autres ont « affronté les libertés de l’espace ». Ils admettent pourtant que « l’enseignement de l’école doit rester neutre », mais à la condition que cette « neutralité » aboutisse à des conclusions « spiritualistes » ; il nous semble que ce ne serait là qu’une neutralité apparente, non réelle, et quiconque a le moindre sens de la logique ne peut guère penser autrement à cet égard ; mais pour eux, au contraire, c’est là de la « neutralité profonde » ! L’esprit de système et les idées préconçues conduisent parfois à d’étranges contradictions, et ceci en est un exemple que nous tenions à signaler53. Quant à nous, qui sommes loin de prétendre à une action sociale quelconque, il est évident que cette question de l’enseignement, ainsi posée, ne peut nous intéresser à aucun titre. La seule méthode qui aurait une valeur réelle serait celle de l’« instruction intégrale »54 ; et malheureusement, étant donnée la mentalité actuelle, on est loin, sans doute pour bien longtemps encore, de pouvoir en tenter la moindre application en Occident, et particulièrement en France, où l’esprit protestant, cher à certains « spiritualistes libéraux », règne en maître absolu dans tous les degrés et toutes les branches de l’enseignement. L’auteur du discours en question (nous ne voulons pas le nommer ici pour ne pas blesser sa… modestie) a cru bon récemment, dans une circonstance qu’il importe peu de spécifier, de nous reprocher d’avoir dit que nous n’avons « absolument rien de commun avec lui » (non plus d’ailleurs qu’avec les autres néo-spiritualistes de toute secte et de toute école), et il objectait que ceci devait nous conduire « à rejeter la fraternité, la vertu, à nier Dieu, l’immortalité de l’âme et le Christ », beaucoup de choses passablement disparates ! Quoique nous nous interdisions formellement toute polémique dans cette Revue, nous pensons qu’il n’est pas inutile de reproduire ici notre réponse à ces objections, pour une plus complète édification de nos lecteurs, et pour marquer mieux et plus précisément (au risque de nous répéter quelque peu) certaines différences profondes sur lesquelles nous n’insisterons jamais trop. « … Tout d’abord, quoi qu’en puisse dire M. X…, son Dieu n’est certes pas le nôtre, car il croit évidemment, comme d’ailleurs tous les Occidentaux modernes, à un Dieu « personnel » (pour ne pas dire individuel) et quelque peu anthropomorphe, lequel, en effet, n’a « rien de commun » avec l’Infini métaphysique55. Nous en dirons autant de sa conception du Christ, c’est-à-dire d’un Messie unique, qui serait une « incarnation » de la Divinité ; nous reconnaissons, au contraire, une pluralité (et même une indéfinité) de « manifestations » divines, mais qui ne sont en aucune façon des « incarnations », car il importe avant tout de maintenir la pureté du Monothéisme, qui ne saurait s’accorder d’une semblable théorie. « Quant à la conception individualiste de l’« immortalité de l’âme », c’est bien plus simple encore, et M. X… s’est singulièrement trompé s’il a cru que nous hésiterions à déclarer que nous la rejetons complètement, aussi bien sous la forme d’une « vie future » extra-terrestre que sous celle, assurément beaucoup plus ridicule, de la trop fameuse théorie de la « réincarnation ». Les questions de « pré-existence » et de « post-existence » ne se posent évidemment pas pour quiconque envisage toutes choses en dehors du temps ; d’ailleurs, l’« immortalité » ne peut être qu’une extension indéfinie de la vie, et elle ne sera jamais que rigoureusement égale à zéro en face de l’Éternité, qui seule nous intéresse, et qui est au-delà de la vie, aussi bien que du temps et de toutes les autres conditions limitatives de l’existence individuelle. Nous savons fort bien que les Occidentaux tiennent par-dessus tout à leur « moi » ; mais quelle valeur peut avoir une tendance purement sentimentale comme celle-là ? tant pis pour ceux qui préfèrent d’illusoires consolations, à la Vérité ! « Enfin, la « fraternité » et la « vertu » ne sont manifestement pas autre chose que de simples notions morales ; et la morale, qui est toute relative, et qui ne concerne que le domaine très spécial et restreint de l’action sociale56, n’a absolument rien à faire avec la Gnose, qui est exclusivement métaphysique. Et nous ne pensons pas que ce soit trop « nous risquer », comme dit M. X…, que d’affirmer que celui-ci ignore tout de la Métaphysique ; ceci soit dit, d’ailleurs, sans lui en faire le moindre reproche, car il est incontestablement permis d’ignorer ce qu’on n’a jamais eu l’occasion d’étudier : à l’impossible nul n’est tenu ! » Nous avons dit précédemment, mais sans y insister, qu’il existe des gens, spirites ou autres, qui s’efforcent de prouver « expérimentalement » la thèse réincarnationniste ; une pareille prétention doit paraître tellement invraisemblable à toute personne douée simplement du plus vulgaire bon sens, qu’on serait tenté, a priori, de supposer qu’il ne peut s’agir là que de quelque mauvaise plaisanterie ; mais il paraît pourtant qu’il n’en est rien. Voici, en effet, qu’un expérimentateur réputé sérieux, qui s’est acquis une certaine considération scientifique par ses travaux sur le « psychisme »57, mais qui, malheureusement pour lui, semble s’être peu à peu converti presque entièrement aux théories spirites (il arrive assez fréquemment que les savants ne sont pas exempts d’une certaine… naïveté)58, a publié tout récemment un ouvrage contenant l’exposé de ses recherches sur les prétendues « vies successives » au moyen des phénomènes de « régression de la mémoire » qu’il a cru constater chez certains sujets hypnotiques ou magnétiques59. Nous disons : qu’il a cru constater, car, si nous ne pouvons en aucune façon songer à mettre en doute sa bonne foi, nous pensons du moins que les faits qu’il interprète ainsi, en vertu d’une hypothèse préconçue, s’expliquent, en réalité, d’une façon tout autre et beaucoup plus simple. En somme, ces faits se résument en ceci : le sujet, étant dans un certain état, peut être replacé mentalement dans les conditions où il se trouvait à une époque passée, et être « situé » ainsi à un âge quelconque, dont il parle alors comme du présent, d’où l’on conclut que, dans ce cas, il n’y a pas « souvenir », mais « régression de la mémoire ». Ceci est d’ailleurs une contradiction dans les termes, car il ne peut évidemment être question de mémoire là où il n’y a pas de souvenir ; mais, cette observation à part, il faut se demander avant tout si la possibilité du souvenir pur et simple est véritablement exclue par la seule raison que le sujet parle du passé comme s’il lui était redevenu présent. À cela, on peut répondre immédiatement que les souvenirs, en tant que tels, sont toujours mentalement présents60 ; ce qui, pour notre conscience actuelle, les caractérise effectivement comme souvenirs d’événements passés, c’est leur comparaison avec nos perceptions présentes (nous entendons présentes en tant que perceptions), comparaison qui permet seule de distinguer les uns des autres en établissant un rapport (temporel, c’est-à-dire de succession) entre les événements extérieurs61 dont ils sont pour nous les traductions mentales respectives. Si cette comparaison vient à être rendue impossible pour une raison quelconque (soit par la suppression momentanée de toute impression extérieure, soit d’une autre façon), le souvenir, n’étant plus localisé dans le temps par rapport à d’autres éléments psychologiques présentement différents, perd son caractère représentatif du passé, pour ne plus conserver que sa qualité actuelle du présent. Or c’est précisément là ce qui se produit dans les cas dont nous parlons : l’état dans lequel est placé le sujet correspond à une modification de sa conscience actuelle, impliquant une extension, dans un certain sens, de ses facultés individuelles, au détriment momentané du développement dans un autre sens que ces facultés possèdent dans l’état normal. Si donc, dans un tel état, on empêche le sujet d’être affecté par les perceptions présentes, et si, en outre, on écarte en même temps de sa conscience tous les événements postérieurs à un certain moment déterminé (conditions qui sont parfaitement réalisables à l’aide de la suggestion), lorsque les souvenirs se rapportant à ce même moment se présentent distinctement à cette conscience ainsi modifiée quant à son étendue (qui est alors pour le sujet la conscience actuelle), ils ne peuvent aucunement être situés dans le passé ou envisagés sous cet aspect, puisqu’il n’y a plus actuellement dans le champ de la conscience aucun élément avec lequel ils puissent être mis dans un rapport d’antériorité temporelle. En tout ceci, il ne s’agit de rien de plus que d’un état mental impliquant une modification de la conception du temps (ou mieux de sa compréhension) par rapport à l’état normal ; et, d’ailleurs, ces deux états ne sont l’un et l’autre que deux modalités différentes d’une même individualité62. En effet, il ne peut être ici question d’états supérieurs et extra-individuels dans lesquels l’être serait affranchi de la condition temporelle, ni même d’une extension de l’individualité impliquant ce même affranchissement partiel, puisqu’on place au contraire le sujet dans un instant déterminé, ce qui suppose essentiellement que son état actuel est conditionné par le temps. En outre, d’une part, des états tels que ceux auxquels nous venons de faire allusion ne peuvent évidemment être atteints par des moyens qui sont entièrement du domaine de l’individualité actuelle et restreinte, comme l’est nécessairement tout procédé expérimental ; et, d’autre part, même s’ils étaient atteints d’une façon quelconque, ils ne sauraient aucunement être rendus sensibles à cette individualité, dont les conditions particulières d’existence n’ont aucun point de contact avec celles des états supérieurs de l’être, et qui, en tant qu’individualité spéciale, est forcément incapable d’assentir, et à plus forte raison d’exprimer, tout ce qui est au-delà des limites de ses propres possibilités63. Quant à retourner effectivement dans le passé, c’est là une chose qui, comme nous le disons ailleurs, est manifestement aussi impossible à l’individu humain que de se transporter dans l’avenir64 ; et nous n’aurions jamais pensé que la « machine à explorer le temps » de Wells pût être considérée autrement que comme une conception de pure fantaisie, ni qu’on en vînt à parler sérieusement de la « réversibilité du temps ». L’espace est réversible, c’est-à-dire que l’une quelconque de ses parties, ayant été parcourue dans un certain sens, peut l’être ensuite en sens inverse, et cela parce qu’il est une coordination d’éléments envisagés en mode simultané et permanent ; mais le temps, étant au contraire une coordination d’éléments envisagés en mode successif et transitoire, ne peut être réversible, car une telle supposition serait la négation même du point de vue de la succession, ou, en d’autres termes, elle reviendrait précisément à supprimer la condition temporelle65. Pourtant, il s’est trouvé des gens qui ont conçu cette idée pour le moins singulière de la « réversibilité du temps », et qui ont prétendu l’appuyer sur un « théorème de mécanique » (?) dont nous croyons intéressant de reproduire intégralement l’énoncé, afin de montrer plus clairement l’origine de leur fantastique hypothèse. « Connaissant la série complexe de tous les états successifs d’un système de corps, et ces états se suivant et s’engendrant dans un ordre déterminé, au passé qui fait fonction de cause, à l’avenir qui a rang d’effet (sic), considérons un de ces états successifs, et, sans rien changer aux masses composantes, ni aux forces qui agissent entre ces masses66, ni aux lois de ces forces, non plus qu’aux situations actuelles des masses dans l’espace, remplaçons chaque vitesse par une vitesse égale et contraire67. Nous appellerons cela « révertir » toutes les vitesses ; ce changement lui-même prendra le nom de réversion, et nous appellerons sa possibilité, réversibilité du mouvement du système. » Arrêtons-nous un instant ici, car c’est justement cette possibilité que nous ne saurions admettre, au point de vue même du mouvement, qui s’effectue nécessairement dans le temps : le système considéré reprendra en sens inverse, dans une nouvelle série d’états successifs, les situations qu’il avait précédemment occupées dans l’espace, mais le temps ne redeviendra jamais le même pour cela, et il suffit évidemment que cette seule condition soit changée pour que les nouveaux états du système ne puissent en aucune façon s’identifier aux précédents. D’ailleurs, dans le raisonnement que nous citons, il est supposé explicitement (encore qu’en un français contestable) que la relation du passé à l’avenir est une relation de cause à effet, tandis que le rapport causal, au contraire, implique essentiellement la simultanéité, d’où il résulte que des états considérés comme se suivant ne peuvent pas, sous ce point de vue, s’engendrer les uns les autres68 ; mais poursuivons : « Or, quand on aura opéré69 la réversion des vitesses d’un système de corps, il s’agira de trouver, pour ce système ainsi réverti, la série complète de ses états futurs et passés : cette recherche sera-t-elle plus ou moins difficile que le problème correspondant pour les états successifs du même système non réverti ? Ni plus ni moins70, et la solution de l’un de ces problèmes donnera celle de l’autre par un changement très simple, consistant, en termes techniques, à changer le signe algébrique du temps, à écrire –t au lieu de +t, et réciproquement. » En effet, c’est très simple en théorie, mais, faute de se rendre compte que la notation des « nombres négatifs » n’est qu’un procédé tout artificiel de simplification des calculs et ne correspond à aucune espèce de réalité71, l’auteur de ce raisonnement tombe dans une grave erreur, qui est d’ailleurs commune à presque tous les mathématiciens, et, pour interpréter le changement de signe qu’il vient d’indiquer, il ajoute aussitôt : « C’est-à-dire que les deux séries complètes d’états successifs du même système de corps différeront seulement en ce que l’avenir deviendra passé, et que le passé deviendra futur72. Ce sera la même série d’états successifs parcourue en sens inverse. La réversion des vitesses révertit simplement le temps : la série primitive des états successifs et la série révertie ont, à tous les instants correspondants, les mêmes figures du système avec les mêmes vitesses égales et contraires (sic). » Malheureusement, en réalité, la réversion des vitesses révertit simplement les situations spatiales, et non pas le temps ; au lieu d’être « la même série d’états successifs parcourue en sens inverse », ce sera une seconde série inversement homologue de la première, quant à l’espace seulement ; le passé ne deviendra pas futur pour cela, et l’avenir ne deviendra passé qu’en vertu de la loi naturelle et normale de la succession, ainsi que cela se produit à chaque instant. Il est vraiment trop facile de montrer les sophismes inconscients et multiples qui se cachent dans de pareils arguments ; et voilà pourtant tout ce qu’on trouve à nous présenter pour justifier, « devant la science et la philosophie », une théorie comme celle des prétendues « régressions de la mémoire » ! Ceci étant dit, nous devons encore, pour compléter l’explication psychologique que nous avons indiquée au début, faire remarquer que le prétendu « retour dans le passé », c’est-à-dire en réalité, tout simplement, le rappel à la conscience claire et distincte de souvenirs conservés à l’état latent dans la mémoire subconsciente du sujet, est facilité d’autre part, au point de vue physiologique, par le fait que toute impression laisse nécessairement une trace sur l’organisme qui l’a éprouvée. Nous n’avons pas à rechercher ici de quelle façon cette impression peut être enregistrée par certains centres nerveux ; c’est là une étude qui relève de la science expérimentale pure et simple, et, d’ailleurs, celle-ci est parvenue à « localiser » à peu près exactement les centres correspondant aux différentes modalités de la mémoire73. L’action exercée sur ces centres, aidée du reste par un facteur psychologique qui est la suggestion, permet de placer le sujet dans les conditions voulues pour réaliser les expériences dont nous avons parlé, du moins quant à leur première partie, celle qui se rapporte aux événements auxquels il a réellement pris part ou assisté à une époque plus ou moins éloignée74. Mais, bien entendu, la correspondance physiologique que nous venons de signaler n’est possible que pour les impressions qui ont réellement affecté l’organisme du sujet ; et de même, au point de vue psychologique, la conscience individuelle d’un être quelconque ne peut évidemment contenir que des éléments ayant quelque rapport avec l’individualité actuelle de cet être. Ceci devrait suffire à montrer qu’il est inutile de chercher à poursuivre les recherches expérimentales au-delà de certaines limites, c’est-à-dire, dans le cas actuel, antérieurement à la naissance du sujet, ou du moins au début de sa vie embryonnaire ; c’est pourtant là ce qu’on a prétendu faire, en s’appuyant, comme nous l’avons dit, sur l’hypothèse préconçue de la réincarnation, et on a cru pouvoir « faire revivre » ainsi à ce sujet « ses vies antérieures », tout en étudiant également, dans l’intervalle, « ce qui se passe pour l’esprit non incarné » ! Ici, nous sommes en pleine fantaisie : comment peut-on parler des « antériorités de l’être vivant », lorsqu’il s’agit d’un temps où cet être vivant n’existait pas encore à l’état individualisé, et vouloir le reporter au-delà de son origine, c’est-à-dire dans des conditions où il ne s’est jamais trouvé, donc qui ne correspondent pour lui à aucune réalité ? Cela revient à créer de toutes pièces une réalité artificielle, si l’on peut s’exprimer ainsi, c’est-à-dire une réalité mentale actuelle qui n’est la représentation d’aucune sorte de réalité sensible ; la suggestion donnée par l’expérimentateur en fournit le point de départ, et l’imagination du sujet fait le reste. Il en est de même, moins la suggestion initiale, dans l’état de rêve ordinaire, où « l’âme individuelle crée un monde qui procède tout entier d’elle-même, et dont les objets consistent exclusivement dans des conceptions mentales »75, sans qu’il soit d’ailleurs possible de distinguer ces conceptions d’avec les perceptions d’origine extérieure, à moins qu’il ne s’établisse une comparaison entre ces deux sortes d’éléments psychologiques, ce qui ne peut se faire que par le passage plus ou moins nettement conscient de l’état de rêve à l’état de veille76. Ainsi, un rêve provoqué, état en tout semblable à ceux où l’on fait naître chez un sujet, par des suggestions appropriées, des perceptions partiellement ou totalement imaginaires, mais avec cette seule différence que, ici, l’expérimentateur est lui-même dupe de sa propre suggestion et prend les créations mentales du sujet pour des « réveils de souvenirs »77, voilà à quoi se réduit la prétendue « exploration des vies successives », l’unique « preuve expérimentale » que les réincarnationnistes aient pu fournir en faveur de leur théorie78. Que l’on essaye d’appliquer la suggestion à la « psychothérapie », de s’en servir pour guérir des ivrognes ou des maniaques, ou pour développer la mentalité de certains idiots, c’est là une tentative qui ne laisse pas d’être fort louable, et quels que soient des résultats obtenus, nous n’y trouverons assurément rien à redire ; mais que l’on s’en tienne là, et qu’on cesse de l’employer à des fantasmagories comme celles dont nous venons de parler. Il se rencontrera pourtant encore, après cela, des gens qui viendront nous vanter « la clarté et l’évidence du spiritisme », et l’opposer à « l’obscurité de la métaphysique », qu’ils confondent d’ailleurs avec la plus vulgaire philosophie79 ; singulière évidence, à moins que ce ne soit celle de l’absurdité ! Mais tout cela ne nous étonne aucunement, car nous savons fort bien que les spirites et autres « psychistes » de différentes catégories sont tous comme certain personnage dont nous avons eu à nous occuper récemment ; ils ignorent profondément ce que c’est que la Métaphysique, et nous n’entreprendrons certes pas de le leur expliquer : « sarebbe lavar la testa all’ asino », comme on dit irrévérencieusement en italien. —————————— [1] Paru dans La Gnose, de août à nov. 1911 et fév. 1912, signé Tau Palingénius. [N.d.É.] [2] Voir La Gnose et les Écoles spiritualistes, 1re année, n° 2. [3] Il faut avoir soin de bien distinguer ce néo-spiritualisme du spiritualisme dit classique ou éclectique, doctrine fort peu intéressante sans doute, et de nulle valeur au point de vue métaphysique, mais qui du moins ne se donnait que pour un système philosophique comme les autres ; tout superficiel, il dut précisément son succès à ce manque même de profondeur, qui le rendait surtout fort commode pour l’enseignement universitaire. [4] Voir À nos Lecteurs, 1re année, n° 5. [5] Voir Ce que nous ne sommes pas, 2e année, n° 1. [6] Voir aussi L’Orthodoxie Maçonnique, 1re année, n° 6. [7] En cette époque où pullulent les associations de tout genre et les ligues contre tous les fléaux réels ou supposés, on pourrait peut-être suggérer, par exemple, l’idée d’une « Ligue antioccultiste », qui ferait simplement appel à toutes les personnes de bon sens, sans aucune distinction de partis ou d’opinions. [8] Voir notamment Le Démiurge, 1re année, n° 3, p. 47, et Le Symbolisme de la Croix, 2e année, n° 3, p. 94, note 1. [9] Voir La Gnose et les Écoles spiritualistes, 1re année, n° 2, p. 20. [10] Voir À propos du Grand Architecte de l’Univers, 2e année, n° 7, p. 196, note 1. [11] On sait que, cependant, la plupart des spirites américains font exception et ne sont pas réincarnationnistes. [12] Bien entendu, cette interprétation ésotérique n’a rien de commun avec la doctrine catholique actuelle, purement exotérique ; à ce sujet, voir Le Symbolisme de la Croix, 2e année, n° 5, p. 149, note 4. [13] Voir Pages dédiées à Mercure, 2e année, n° 1, p. 35, et n° 2, p. 66. [14] L’auteur a soin de nous avertir que « ce n’est pas un pléonasme » ; alors, nous nous demandons ce que cela peut bien être. [15] Voir La Religion et les religions, 1re année, n° 10, p. 221. [16] Voir Le Symbolisme de la Croix, 2e année, nos 2 à 6. [17] Il en est qui vont jusqu’à nier l’existence réelle des astres et à les regarder comme de simples reflets, des images virtuelles ou des exhalaisons émanées de la Terre, suivant l’opinion attribuée, sans doute faussement, à quelques philosophes anciens, tels qu’Anaximandre et Anaximène (voir traduction des Philosophumena, pp. 12 et 13) ; nous reparlerons un peu plus tard des conceptions astronomiques spéciales à certains occultistes. [18] D’ailleurs, nous pouvons noter en passant que tous les écrivains, astronomes ou autres, qui ont émis des hypothèses sur les habitants des autres planètes, les ont toujours, et peut-être inconsciemment, conçus à l’image, plus ou moins modifiée, des êtres humains terrestres (voir notamment C. Flammarion, La Pluralité des Mondes habités, et Les Mondes imaginaires et les Mondes réels). [19] L’existence des êtres individuels dans le monde physique est en effet soumise à un ensemble de cinq conditions : espace, temps, matière, forme et vie, que l’on peut faire correspondre aux cinq sens corporels, ainsi d’ailleurs qu’aux cinq éléments ; cette question, très importante, sera traitée par nous avec tous les développements qu’elle comporte, au cours d’autres études. [20] Le Lendemain de la Mort ou la Vie future selon la Science : voir À propos du Grand Architecte de l’Univers, 2e année, n° 7, p. 193, note 3. [21] L’Éternité par les Astres. [22] Voir Le Symbolisme de la Croix, 2e année, n° 3, p. 94, note 1. [23] Voici encore une occasion de se demander si « ce n’est pas un pléonasme ». [24] Nous avons même entendu émettre l’affirmation suivante : « S’il vous arrive de rêver que vous avez été tué, c’est, dans bien des cas, que, à cet instant même, vous l’avez été effectivement dans une autre planète » ! [25] Cela ne les empêche pas de vouloir quelquefois faire de la Kabbale à leur façon : c’est ainsi que nous en avons vu qui comptaient jusqu’à 72 Séphiroth ; et ce sont ceux-là qui osent accuser les autres de « faire de la fantaisie » ! [26] Ce n’est pas l’avis de quelques autres écoles d’occultisme, qui parlent des « différences d’âge des esprits humains » par rapport à l’existence terrestre, et même des moyens de les déterminer ; il y en a aussi qui cherchent à fixer le nombre des incarnations successives. [27] Sur l’interprétation ésotérique et métaphysique de la « chute originelle » de l’homme, voir Le Démiurge, 1re année, n° 2, p. 25. [28] Nous ne contredirions cependant pas l’opinion qui assignerait au Monde une durée de dix mille ans, si l’on voulait prendre ce nombre « dix mille », non plus dans son sens littéral, mais comme désignant l’indéfinité numérale (voir Remarques sur la Notation mathématique, 1re année, n° 6, p. 115. [29] En admettant que l’humanité terrestre ait une fin, car il est aussi des écoles selon lesquelles le but qu’elle doit atteindre est de rentrer en possession de l’« immortalité physique » ou « corporelle », et chaque individu humain se réincarnera sur la Terre jusqu’à ce qu’il soit finalement parvenu à ce résultat. – D’autre part, d’après les théosophistes, la série des incarnations d’un même individu en ce monde est limitée à la durée d’une seule « race » humaine terrestre, après que tous les hommes constituant cette « race » passent dans la « sphère » suivante de la « ronde » à laquelle ils appartiennent ; les mêmes théosophistes affirment que, en règle générale (mais avec des exceptions), deux incarnations consécutives sont séparées par un intervalle fixe de temps, dont la durée serait de quinze cents ans, alors que, selon les spirites, on pourrait parfois « se réincarner » presque immédiatement après sa mort, si ce n’est même de son vivant (!), dans certains cas que l’on déclare, heureusement, être tout à fait exceptionnels. – Une autre question qui donne lieu à de nombreuses et interminables controverses est celle de savoir si un même individu doit toujours et nécessairement « se réincarner » dans le même sexe, ou si l’hypothèse contraire est possible ; nous aurons peut-être quelque occasion de revenir sur ce point. [30] Voir L’Archéomètre, 2e année, n° 1, p. 15, note 3. – Dans le domaine social, ce qu’on appelle la justice ne peut consister, suivant une formule extrême-orientale, qu’à compenser des injustices par d’autres injustices (conception qui ne souffre pas l’introduction d’idées mystico-morales telles que celles de mérite et de démérite, de récompense et de punition, etc., non plus que de la notion occidentale du progrès moral et social) ; la somme de toutes ces injustices, qui s’harmonisent en s’équilibrant, est, dans son ensemble, la plus grande justice au point de vue humain individuel. [31] Voir Le Démiurge, 1re année, nos 1 à 4. [32] Sur cette question de la diversité des conditions humaines, considérée comme le fondement de l’institution des castes, voir L’Archéomètre, 2e année, n° 1, pp. 8 et suivantes. [33] Ceci suppose la coexistence de tous les éléments envisagés en dehors du temps, aussi bien qu’en dehors de n’importe quelle autre condition contingente de l’une quelconque des modalités spécialisées de l’existence ; remarquons une fois de plus que cette coexistence ne laisse évidemment aucune place à l’idée de progrès. [34] À cette conception des sanctions religieuses se rattache la théorie tout occidentale du sacrifice et de l’expiation, dont nous aurons ailleurs à démontrer l’inanité. [35] Ce que les théosophistes appellent très improprement Karma n’est pas autre chose que la loi de causalité, d’ailleurs fort mal comprise, et encore plus mal appliquée ; nous disons qu’ils la comprennent mal, c’est-à-dire incomplètement, car ils la restreignent au domaine individuel, au lieu de l’étendre à l’ensemble indéfini des états d’être. En réalité, le mot sanscrit Karma, dérivant de la racine verbale kri, faire (identique au latin creare), signifie simplement « action », et rien de plus ; les Occidentaux qui ont voulu l’employer l’ont donc détourné de son acception véritable, qu’ils ignoraient, et ils ont fait de même pour un grand nombre d’autres termes orientaux. [36] Il va sans dire que les conséquences purement individuelles (et imaginaires) dont il est ici question n’ont aucun rapport avec la théorie métaphysique, dont nous parlerons ailleurs, d’après laquelle le geste le plus élémentaire peut avoir dans l’Universel des conséquences illimitées, en se répercutant et s’amplifiant à travers la série indéfinie des états d’être, suivant la double échelle horizontale et verticale (voir Le Symbolisme de la Croix, 2e année, nos 2 à 6). [37] Il y a des occultistes qui vont jusqu’à prétendre que les infirmités congénitales sont le résultat d’accidents arrivés dans des « existences antérieures ». [38] Nous parlons seulement de « formes de vie », parce qu’il est bien entendu que ceux qui soutiennent une telle opinion ne sauraient rien concevoir en dehors de la vie (et de la vie dans la forme), de sorte que, pour eux, cette expression renferme toutes les possibilités, tandis que, pour nous, elle ne représente au contraire qu’une possibilité de manifestation très spéciale. [39] Voir Le Démiurge, 1re année, n° 3, p. 46. [40] Ce qui est vrai, d’une façon générale, de l’indéfini considéré par rapport (ou plutôt par absence de rapport) à l’Infini, demeure vrai pour chaque aspect particulier de l’indéfini, ou, si l’on veut, pour l’indéfinité particulière qui correspond au développement de chaque possibilité envisagée isolément ; ceci est donc vrai, notamment, pour l’immortalité (extension indéfinie de la possibilité vie), qui, en conséquence, ne peut être que zéro par rapport à l’Éternité ; nous aurons ailleurs l’occasion de nous expliquer plus amplement sur ce point (voir aussi À propos du Grand Architecte de l’Univers, 2e année, n° 7, p. 196, note 1). [41] Pour plus de détails sur la représentation mathématique de la totalisation de l’être par une double intégration réalisant le volume universel, voir notre étude sur Le Symbolisme de la Croix, 2e année, nos 2 à 6. [42] Notamment en ce qui concerne le mode d’accroissement ; de même pour la reproduction par bipartition ou gemmiparité. – Sur cette question de la vie des cristaux, voir en particulier les remarquables travaux du professeur J. C. Bose, de Calcutta, qui ont inspiré (pour ne pas dire plus) ceux de divers savants européens. [43] Nous avons déjà exposé la raison pour laquelle la question purement scientifique du « transformisme » ne présente aucun intérêt pour la Métaphysique (voir Conceptions scientifiques et Idéal maçonnique, 2e année, n° 10, p. 273). [44] Nous ne nous attarderons pas à relever les calomnies absurdes et les racontars plus ou moins ineptes que des gens mal informés ou mal intentionnés ont répandus à plaisir sur cette Fraternité, qui est désignée par les initiales H. B. of L. ; mais nous croyons cependant nécessaire d’avertir qu’elle est étrangère à tout mouvement occultiste, bien que certains aient jugé bon de s’approprier quelques-uns de ses enseignements, en les dénaturant d’ailleurs complètement pour les adapter à leurs propres conceptions. [45] C’est-à-dire les divers états de la manifestation subtile, répartis suivant leur correspondance avec les éléments. [46] C’est-à-dire qu’elle a développé complètement toute la série des modifications dont elle est susceptible. [47] Ceci au point de vue extérieur, bien entendu. [48] Ce qui implique bien la coexistence de toutes les modalités vitales. [49] Par l’extension graduelle de ce développement jusqu’à ce qu’il ait atteint une zone déterminée, correspondant à l’état spécial que l’on considère ici. [50] C’est pourquoi la tradition hindoue donne le nom de Pitris (pères ou ancêtres) aux êtres du cycle qui précède le nôtre, et qui est représenté, par rapport à celui-ci, comme correspondant à la Sphère de la Lune ; les Pitris forment l’humanité terrestre à leur image, et cette humanité actuelle joue, à son tour, le même rôle à l’égard de celle du cycle suivant. Cette relation causale d’un cycle à l’autre suppose nécessairement la coexistence de tous les cycles, qui ne sont successifs qu’au point de vue de leur enchaînement logique, s’il en était autrement, une telle relation ne pourrait exister (voir La Constitution de l’être humain et son évolution posthume selon le Védânta, 2e année, n° 10, pp. 262 et 263). [51] Cette opinion bizarre, qui a trouvé en particulier, depuis quelques années, beaucoup de crédit chez les théosophistes, n’est guère plus absurde, après tout, que celle des gens qui soutiennent que saint Jean-Baptiste fut une réincarnation du prophète Élie ; d’ailleurs, nous dirons quelques mots, par la suite, au sujet des divers textes des Évangiles que certains se sont efforcés d’interpréter en faveur de la théorie réincarnationniste. [52] Voir À propos du Grand Architecte de l’Univers, 2e année, n° 7, pp. 197 et 198. [53] Nous pourrions rappeler à ce propos, dans un autre ordre d’idées, l’attitude de certains savants, qui refusent d’admettre des faits dûment constatés, simplement parce que leurs théories ne permettent pas d’en donner une explication satisfaisante. [54] Voir l’ouvrage publié sous ce titre, L’Instruction intégrale, par notre éminent collaborateur F.-Ch. Barlet. [55] D’ailleurs, le mot Dieu lui-même est tellement lié à la conception anthropomorphique, il est devenu tellement incapable de correspondre à autre chose, que nous préférons en éviter l’emploi le plus possible, ne serait-ce que pour mieux marquer l’abîme qui sépare la Métaphysique des religions. [56] Sur cette question de la morale, voir Conceptions scientifiques et Idéal maçonnique, 2e année, n° 10, pp. 274 et 275. [57] Faute d’un terme moins imparfait, nous conservons celui de « psychisme », si vague et imprécis qu’il soit, pour désigner un ensemble d’études dont l’objet lui-même, d’ailleurs, n’est guère mieux défini ; quelqu’un (le Dr Richet, croyons-nous) a eu l’idée malheureuse de substituer à ce mot celui de « métapsychique », qui a l’immense inconvénient de faire penser à quelque chose de plus ou moins analogue ou parallèle à la Métaphysique (et, dans ce cas, nous ne voyons pas trop ce que cela pourrait être, sinon la Métaphysique elle-même sous un autre nom), alors que, tout au contraire, il s’agit d’une science expérimentale, avec des méthodes calquées aussi exactement que possible sur celles des sciences physiques. [58] Le cas auquel nous faisons allusion n’est pas isolé, et il en existe de tout à fait semblables, dont plusieurs sont même fort connus ; nous avons cité ailleurs ceux de Crookes, de Lombroso, du Dr Richet et de M. Camille Flammarion (À propos du Grand Architecte de l’Univers, 2e année, n° 7, p. 196), et nous aurions pu y ajouter celui de William James et plusieurs autres encore ; tout cela prouve simplement qu’un savant analyste, quelle que soit sa valeur comme tel, et quel que soit aussi son domaine spécial, n’est pas forcément pour cela, en dehors de ce même domaine, notablement supérieur à la grande masse du public ignorant et crédule qui fournit la majeure partie de la clientèle spirito-occultiste. [59] Nous ne chercherons pas ici jusqu’à quel point il est possible de différencier nettement l’hypnotisme et le magnétisme ; il se pourrait bien que cette distinction fût plus verbale que réelle, et, en tout cas, elle n’a aucune importance quant à la question qui nous occupe présentement. [60] Que ces souvenirs se trouvent d’ailleurs actuellement dans le champ de la conscience claire et distincte ou dans celui de la « subconscience » (en admettant ce terme dans son sens tout à fait général), peu importe, puisque, normalement, ils ont toujours la possibilité de passer de l’un dans l’autre, ce qui montre qu’il ne s’agit là que d’une différence de degré, et rien de plus. [61] Extérieurs par rapport au point de vue de notre conscience individuelle, bien entendu ; d’ailleurs, cette distinction du souvenir et de la perception ne relève que de la psychologie la plus élémentaire, et, d’autre part, elle est indépendante de la question du mode de perception des objets regardés comme extérieurs, ou plutôt de leurs qualités sensibles. [62] Il en est de même des états (spontanés ou provoqués) qui correspondent à toutes les altérations de la conscience individuelle, dont les plus importantes sont ordinairement rangées sous la dénomination impropre et fautive de « dédoublements de la personnalité ». [63] Du reste, dans tous les cas dont nous parlons, il ne s’agit que d’événements physiques, et même le plus souvent terrestres (quoique tel autre expérimentateur assez connu ait publié jadis un récit détaillé des prétendues « incarnations antérieures » de son sujet sur la planète Mars, sans s’être étonné que tout ce qui se passe sur celle-ci soit si facilement traduisible en langage terrestre !) ; il n’y a là rien qui exige le moins du monde l’intervention d’états supérieurs de l’être, que d’ailleurs, bien entendu, les « psychistes » ne soupçonnent même pas. [64] Voir pour ceci, ainsi que pour ce qui suit, notre étude Les Conditions de l’existence corporelle, 3e année, n° 2, pp. 39 et 40 (et particulièrement la note 4 de la p. 39). [65] Cette suppression de la condition temporelle est d’ailleurs possible, mais non dans les cas que nous envisageons ici, puisque ces cas supposent toujours le temps ; et, en parlant ailleurs de la conception de l’« éternel présent », nous avons eu bien soin de faire remarquer qu’elle ne peut rien avoir de commun avec un retour dans le passé ou un transport dans l’avenir, puisqu’elle supprime précisément le passé et l’avenir, en nous affranchissant du point de vue de la succession, c’est-à-dire de ce qui constitue pour notre être actuel toute la réalité de la condition temporelle. [66] « Sur ces masses » aurait été plus compréhensible. [67] Une vitesse contraire à une autre, ou bien de direction différente, ne peut lui être égale au sens rigoureux du mot, elle peut seulement lui être équivalente en quantité ; et, d’un autre côté, est-il possible de regarder cette « réversion » comme ne changeant en rien les lois du mouvement considéré, étant donné que, si ces lois avaient continué à être normalement suivies, elle ne se serait pas produite ? [68] Voir La Constitution de l’être humain et son évolution posthume selon le Védânta, 2e année, n° 10, pp. 262 et 263. – Par suite, si le souvenir d’une impression quelconque peut être cause d’autres phénomènes mentaux, quels qu’ils soient, c’est en tant que souvenir présent, mais l’impression passée ne peut actuellement être cause de rien. [69] L’auteur du raisonnement a eu la prudence d’ajouter ici entre parenthèses : « non dans la réalité, mais dans la pensée pure » ; par là, il sort entièrement du domaine de la mécanique et ce dont il parle n’a plus aucun rapport avec « un système de corps » ; mais il est à retenir qu’il regarde lui-même la prétendue « réversion » comme irréalisable, contrairement à l’hypothèse de ceux qui ont voulu appliquer son raisonnement à la « régression de la mémoire ». [70] Évidemment, puisque, dans l’un et l’autre cas, il s’agit d’étudier un mouvement dont tous les éléments sont donnés ; mais, pour que cette étude corresponde à quelque chose de réel ou même de possible, il ne faudrait pas être dupe d’un simple jeu de notation ! [71] Sur cette notation et ses inconvénients, particulièrement au point de vue de la mécanique, voir Remarques sur la Notation mathématique, 1re année, n° 7. [72] Voilà certes une singulière fantasmagorie, et il faut reconnaître qu’une opération aussi vulgaire qu’un simple changement de signe algébrique est douée d’une puissance bien étrange et vraiment merveilleuse… aux yeux des mathématiciens ! [73] Cette « localisation » est rendue possible surtout par l’observation des différents cas de « paramnésie » (altérations partielles de la mémoire) ; et nous pouvons ajouter que l’espèce de fractionnement de la mémoire que l’on constate dans ces cas permet d’expliquer une bonne partie des soi-disant « dédoublements de la personnalité », auxquels nous avons fait allusion précédemment. [74] On pourrait également parler, si singulier que cela semble au premier abord, d’une correspondance, tant physiologique que psychologique, des événements non encore réalisés, mais dont l’individu porte les virtualités en lui ; ces virtualités se traduisent par des prédispositions et des tendances d’ordres divers, qui sont comme le germe présent des événements futurs concernant l’individu. Toute diathèse est, en somme, une prédisposition organique de ce genre : un individu porte en lui, dès son origine (« ab ovo », pourrait-on dire), telle ou telle maladie à l’état latent, mais cette maladie ne pourra se manifester que dans des circonstances favorables à son développement, par exemple sous l’action d’un traumatisme quelconque ou de toute autre cause d’affaiblissement de l’organisme ; si ces circonstances ne se rencontrent pas, la maladie ne se développera jamais, mais son germe n’en existe pas moins réellement et présentement dans l’organisme, de même qu’une tendance psychologique qui ne se manifeste par aucun acte extérieur n’en est pas moins réelle pour cela. [75] Voir La Constitution de l’être humain et son évolution posthume selon le Védânta, 2e année, n° 10, pp. 265 et 266. [76] Mais cette comparaison n’est jamais possible dans le cas du rêve provoqué par suggestion, puisque le sujet, à son réveil, n’en conserve aucun souvenir dans sa conscience normale. [77] Le sujet pourrait d’ailleurs les considérer également comme des souvenirs, car un rêve peut comprendre des souvenirs tout aussi bien que des impressions actuelles, sans que ces deux sortes d’éléments soient autre chose que de pures créations mentales. Nous ne parlons pas, bien entendu, des souvenirs de la veille qui viennent souvent se mêler au rêve, parce que la séparation des deux états de conscience est rarement complète, du moins quant au sommeil ordinaire ; elle paraît l’être beaucoup plus lorsqu’il s’agit du sommeil provoqué, et c’est ce qui explique l’oubli total qui suit le réveil du sujet. [78] Pour ce qui est des cas spontanés de prétendus « réveils de souvenirs », voir 2e année, n° 11, p. 297. [79] Certains vont même jusqu’à réclamer des « expériences métaphysiques », sans se rendre compte que l’union de ces deux mots constitue un non-sens pur et simple. |
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