|
Correspondance avec Louis Cattiaux, René Guénon, éd. non publié, 1947-1950 |
p... | |||
Le Caire, 2 avril 1949 Cher Monsieur, Je viens seulement de recevoir votre lettre du 17 février ; vous voyez que cela ne va pas plus vite ; il semble que la difficulté des voyages, dont je vous parlais la dernière fois, n’existe pas uniquement pour les humains, mais aussi pour toutes choses. C’est dommage que vous n’ayez pu m’envoyer le cadre avec la peinture, mais je crois qu’en effet c’était vraiment une chose impossible. Votre choix de l’Arbre de Vie était vraiment excellent, et je vous en remercie encore ; ce que vous me dites de cette substance vivante au centre est vraiment véritablement étrange, quoique naturellement j’en comprenne bien la possibilité… Je vois avec plaisir que nous sommes tout à fait d’accord dans notre appréciation de la peinture et de la musique modernes ; le contraire m’aurait d’ailleurs bien étonné. Vous n’avez que trop raison de dire que tout est ainsi actuellement, et je pense que nous n’avons pas encore tout à fait atteint le point le plus bas, quoique nous nous en rapprochions manifestement avec une rapidité toujours croissante ; quelle malchance de devoir vivre dans une pareille époque. Et, à propos de « trucage chimique », que dire aussi de la médecine actuelle, et, plus généralement, de tout ce qu’on fait pour que les gens ne puissent plus avoir qu’une vie presque entièrement artificielle à tout les points de vue ? Ne vous pressez pas pour la mise au point de votre livre ; mais il faut tout de même espérer, quoique vous en disiez, que, quand elle sera achevée, vous pourrez trouver un éditeur, bien que ce soit évidemment beaucoup moins facile que s’il s’agissait de littérature à la mode, de philosophie existentielle ou de quelqu’autre sottise du même genre… Pour les Écritures sacrées, il est bien certain qu’on ne peut voir de contradiction entre elles que dans la mesure où on ne les comprend pas. Quant aux traductions, il est vrai que même les plus mauvaises ne peuvent pas ne pas donner malgré tout quelque chose du sens ; mais ne pensez-vous pas qu’elles ne sont utilisables que pour ceux qui ont déjà des données suffisantes, et qu’elles risquent plutôt d’égarer les autres ? Je ne savais pas que Lanza del Vasto continuait son expérience, car j’avais entendu dire que les premiers résultats qu’il en avait eux étaient plutôt décourageants. On m’a dit aussi (mais je ne sais si cela est vrai) qu’il était allé récemment chez Gurdjieff, mais qu’il s’en était retiré presque aussitôt, ne pouvant admettre les vexations et les brutalités auxquelles tout le monde est en butte de la part de ce personnage ; cela, en tout cas, s’accorderait bien avec ce que je sais des singulières méthodes de celui-ci. Je connaissais le nom de Théophile Briant, mais je le croyais seulement poète ; il est malheureusement peu probable que je puisse avoir l’occasion de le rencontrer, car je n’ai aucune relation avec les milieux européens d’ici, qui forment comme un monde entièrement séparé de celui où je vis… […] René Guénon |
|||||
‹‹ | ›› |