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Correspondance avec Marcel Clavelle, René Guénon, éd. non publié, 1932-1938 |
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Le Caire, 2 septembre 1932 […] Par exemple, il (A. Ink.) parle dans son livre d’un soi-disant « rite de Minang Kabao » ; cela doit assurément en imposer aux gens qui ne savent pas que ce nom est tout simplement celui d’une région de Sumatra, ce qui n’a pas le moindre rapport avec les Khmers. Du reste même si son origine est réellement ce qu’il prétend, je voudrais bien savoir où il aurait été chercher la tradition Khmère, dont les Cambodgiens actuels ont d’autant moins à se recommander qu’ils sont les descendants des envahisseurs par qui elle a été détruite. […] Vous me demandez, sur la question d’« attitude », s’il y a quelque chose de changé depuis la publication de certains de mes ouvrages. Je vous répondrai très nettement : oui, certaines portes, du côté occidental, se sont fermées d’une façon définitive. Je ne me suis d’ailleurs jamais fait d’illusions, mais je n’avais pas le droit de paraître négliger certaines possibilités ; il fallait que la situation devienne tout à fait nette, et ce que j’ai fait y a contribué pour sa part. Peut-être y aura-t-il encore un dernier résultat (négatif) à obtenir pour que chacun sache à quoi s’en tenir sans équivoque possible… […] Quant à l’Islam politique, mieux vaut n’en pas parler, car ce n’est plus qu’un souvenir historique ; c’est certainement dans ce domaine politique que les idées occidentales, avec la conception des « nationalités », ont fait le plus de ravages, et avec une singulière rapidité. C’est à tel point que maintenant les Égyptiens ne veulent pas venir en aide aux Syriens, ni ceux-ci aux Palestiniens, et ainsi de suite ; et il y en a beaucoup à qui on ne peut même plus arriver à faire comprendre combien ce particularisme est contraire aux intérêts traditionnels. – Cela n’a pas empêché un soi-disant « explorateur » français, qui n’est probablement qu’un vulgaire touriste, de prétendre dans un livre récent que le Khalifat existe toujours en fait, et, mieux encore, qu’il a son siège ici même à El-Azhar. Ce serait à éclater de rire si la réalité, à cet égard, n’était assez triste au fond ; savez-vous qu’au congrès de Jérusalem, en décembre dernier, la question du rétablissement du Khalifat ayant été posée, il a été impossible d’arriver à une entente et à une solution quelconque ? Et savez-vous aussi, en ce qui concerne spécialement El-Azhar, que le recteur, il y a à peu près un an, a refusé de signer une protestation contre les atrocités italiennes en Tripolitaine, sous le prétexte que « c’était là une question politique dans laquelle il n’avait pas à intervenir » ? […] Pour ce qui est des « prophéties occidentales » (j’aimerais mieux ne les appeler que « prédictions ») qui parlent d’une future « lutte de la Croix et du Croissant », j’avoue que je ne leur accorde qu’une valeur des plus relatives. D’abord, je ne vois pas du tout, dans l’état actuel du monde, quels peuples pourraient bien être qualifiés pour représenter la Croix ; ensuite le Croissant n’a jamais symbolisé l’Islam que dans l’imagination des Occidentaux ; il ne lui appartient ni exclusivement ni essentiellement, et il y est uniquement un symbole de « majesté », rien de plus. – Je vous signalerai à ce propos que le roi de France Henri II, que je ne crois pas avoir été musulman, en avait fait son emblème personnel, et aussi qu’on voit ici sur beaucoup de boutiques Coptes, donc chrétiennes, la Croix entre les cornes du croissant (ce qui reproduit d’ailleurs exactement un ancien symbole phénicien, bien antérieur à l’islam et au christianisme). – Mais il y a des « clichés » que l’ignorance se plait à répéter indéfiniment : c’est ainsi, pour prendre encore un autre exemple, qu’il est convenu en Europe que l’étendard du Prophète était vert ; or il y en avait deux, un blanc pour la paix et un noir pour la guerre ; le vert n’est venu que beaucoup plus tard, sous je ne sais quel Khalife. |
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