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Études sur la Franc-Maçonnerie et le Compagnonnage, tome 1, René Guénon, éd. Éditions Traditionnelles, 1971 |
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Janvier 1938
– Dans les Archives de Trans (numéro d’octobre), M. J. Barles continue son examen de la rédaction du Livre des Constitutions par James Anderson ; celui-ci, dans le récit inséré dans l’édition de 1738, a naturellement présenté comme une révision nécessaire ce qui fut en réalité un travail d’altération voulue des Old Charges ; signalons d’ailleurs que, dans ce même récit, tous les faits concernant la fondation et les débuts de la Grande Loge d’Angleterre sont tendancieusement déformés, ainsi qu’il ressort d’une étude historique publiée dans le Grand Lodge Bulletin d’Iowa et dont nous avons rendu compte en son temps. Nous nous permettons d’attirer là-dessus l’attention de M. Barles, qui se borne à dire, à la suite de Mgr Jouin, qu’« il est permis de se demander si le choix d’Anderson, que nulle raison majeure ne motivait, fut des plus judicieux » ; est-il bien sûr qu’il n’y avait pas au contraire de sérieuses raisons pour que les choses fussent « arrangées » de cette façon toute spéciale, ce pour quoi Anderson était peut-être réellement plus qualifié que d’autres que certains scrupules auraient pu retenir ? – La Revue Internationale des Sociétés Secrètes (numéro du 15 novembre) publie la reproduction d’un document qui est de nature à éclairer quelque peu la question, fort obscure aussi, des débuts de la Maçonnerie en France : il s’agit d’un manuscrit datant de 1735-1736, et contenant une traduction des Constitutions d’Anderson, avec de légères modifications ou adaptations à l’usage des Loges françaises. Cette version est accompagnée d’une « approbation » qui est la partie vraiment intéressante du manuscrit, car il en résulte les faits suivants : le duc de Wharton fut « Grand-Maître des Loges du royaume de France » à une date indéterminée, mais antérieure à 1735 ; Jacques Hector Macleane exerçait la même fonction en 1735, et il fut remplacé l’année suivante par Charles Radcliffe, comte Derwentwater. Ces faits sont susceptibles d’infirmer les conclusions de la campagne menée jadis par Téder contre l’authenticité des deux premiers Grands-Maîtres de la Maçonnerie française, Lord Derwentwater et Lord Harnouester (qui d’ailleurs ne font sans doute qu’un, le deuxième nom n’étant vraisemblablement qu’une altération du premier), campagne rappelée dans un précédent article de la même revue (numéro des 15 septembre-1er octobre), et à la suite de laquelle ces deux noms furent supprimés, en 1910, de la liste des Grands-Maîtres figurant dans l’Annuaire du Grand-Orient de France. Cependant, certaines questions se posent encore : le duc de Wharton fut Grand-Maître de la Grande Loge d’Angleterre en 1722, et il est possible que ce soit en cette qualité qu’il ait eu sous sa juridiction les Loges françaises avant qu’elles n’aient reçu une organisation particulière ; seulement, on ne fixe d’ordinaire qu’à 1725 la fondation de la première Loge à Paris ; faudrait-il réellement la faire remonter quelques années plus haut ? Mais alors il y aurait encore une autre objection : c’est que les Constitutions d’Anderson ne furent complètement rédigées qu’en 1723, après l’expiration de la Grande-Maîtrise du duc de Wharton… La situation exacte des deux autres personnages n’apparaît pas très clairement non plus : fut-elle celle de « Grands-Maîtres provinciaux », relevant de la Grande Loge d’Angleterre, ou déjà celle de Grands-Maîtres d’une Grande Loge entièrement indépendante ? Enfin, il semble bien, d’après le même document, que le grade de Maître ait été connu et pratiqué par les Maçons « spéculatifs » de France avant de l’être par ceux d’Angleterre ; on peut alors se demander d’où ils l’avaient reçu, et il y a là encore un autre problème qu’il serait assez intéressant d’élucider. – Dans le Symbolisme (numéro de novembre), sous le titre Ivresse bachique et Sommeils initiatiques, G. Persigout essaie de marquer une distinction entre ce qu’il désigne comme « les cultes populaires et les religions de mystères » ; dépouillée de cette terminologie plutôt fâcheuse, cette distinction devrait en somme revenir tout simplement à celle de l’exotérisme et de l’ésotérisme ; mais il n’est pas exact d’admettre que le premier ait jamais été comme une sorte de « vulgarisation » et de déviation du second, car chacun à son domaine bien défini et également légitime ; il y a encore dans tout cela bien des confusions. Février 1938 – Dans les Archives de Trans (numéro de novembre), M. J. Barles en arrive cette fois à la Grande-Maîtrise du duc de Wharton, dont nous avons déjà parlé dans nos derniers comptes rendus, à propos d’un article de la Revue Internationale des Sociétés Secrètes. Ce sujet est encore un de ceux qui semblent assez difficiles à éclaircir : le duc de Wharton aurait été tout d’abord élu irrégulièrement en 1722, mais ensuite, pour éviter des dissensions, son prédécesseur, le duc de Montagu, se démit en sa faveur le 3 janvier 1723, et l’installation régulière eut lieu le 17 janvier ; Desaguliers fut alors nommé Député Grand-Maître. Les Constitutions d’Anderson furent présentées à la Grande Loge en 1723, approuvées et signées par le duc de Wharton et Desaguliers ; mais ce qui est assez singulier, c’est que cette approbation ne porte pas de date ; la ratification eut-elle lieu à l’assemblée du 17 janvier, comme le pense Mgr Jouin, cité par M. Barles, ou seulement le 25 mars, comme le dit Thory (Acta Latomorum, T. I., p. 20), qui, d’autre part, inscrit, par une erreur évidente, ces événements à la date de 1722 ? Quoi qu’il en soit, nous ne nous expliquons pas que M. Barles envisage comme possible une identification de deux personnages tout à fait différents : Philippe, duc de Wharton, et Francis, comte de Dalkeith ; le second succéda tout à fait normalement au premier comme Grand-Maître, le 24 juin 1723 ; là du moins, il n’y a rien d’obscur. Ce qui l’est davantage, c’est la suite de la carrière du duc de Wharton : en 1724, il adhère à une sorte de contrefaçon de la Maçonnerie, connue sous le nom de Gormogons ; la même année, il vint sur le continent, se convertit au catholicisme et adhéra ouvertement au parti des Stuarts ; puis, en 1728, il constitua une Loge à Madrid, ce qui indique qu’en réalité il n’avait pas renoncé à la Maçonnerie ; enfin, il mourut à Tarragone en 1731. Les précisions sur ce qu’il fit entre 1724 et 1728 paraissent manquer totalement, et c’est d’autant plus regrettable que ce point pourrait présenter un intérêt particulier en connexion avec la question des origines de la Maçonnerie française : en effet, s’il n’existait pas encore de Loges en France en 1723, et si par conséquent le duc de Wharton ne peut en être le Grand-Maître du fait même qu’il était alors Grand-Maître de la Grande Loge d’Angleterre dont ces Loges dépendirent tout d’abord, il ne put recevoir cette qualité que pendant la période dont il s’agit, et au cours de laquelle il est très possible qu’il ait effectivement séjourné en France ; c’est donc là-dessus que devraient surtout porter les recherches de ceux qui voudraient élucider plus complètement cette question. – Dans le Grand Lodge Bulletin d’Iowa (numéro de décembre), un article est consacré à la comparaison des deux Rites pratiqués principalement en Amérique, le Rite d’York et le Rite Écossais, qui différent non seulement par les degrés auxquels ils travaillent, mais aussi par leur mode d’organisation. L’origine du Rite d’York est en quelque sorte « préhistorique », puisqu’elle remonterait au VIIe siècle ; c’est à ce Rite que se réfèrent les anciens documents maçonniques appelés Old Charges, dont une copie était, pour les Loges opératives, l’équivalent de ce qu’est pour les Loges modernes une charte délivrée par une Grande Loge. Le Rite d’York est régi par les Constitutions d’Athelstan de 926 ; le Rite Écossais, par les Constitutions de Frédéric le Grand de 1786 ; ce qui est assez curieux, c’est que l’origine de ces deux documents, d’époques si différentes, a été également contestée par les historiens ; il va de soi, d’ailleurs, que le droit des organisations maçonniques à les adopter valablement comme loi fondamentale est, en tout cas, entièrement indépendant de cette question d’origine. – Dans le Symbolisme (numéro de décembre), sous le titre Le Plagiat des Religions, Albert Lantoine envisage les ressemblances qui existent entre le symbolisme des diverses religions, y compris le Christianisme, celui de la Maçonnerie et celui des initiations antiques ; il n’y a pas lieu de s’étonner, dit-il, de ces similitudes qui procèdent, non du plagiat volontaire, mais d’une concordance inévitable ; cela est exact, mais il faudrait aller encore plus loin en ce sens, et il a le tort de méconnaître la filiation réelle, et non pas seulement « livresque » ou « idéale », qui existe entre les différentes formes traditionnelles, sous leur double aspect exotérique, dont la religion est un cas particulier, et ésotérique ou initiatique ; il ne s’agit point là d’« emprunts », bien entendu, mais des liens qui rattachent toute tradition authentique et légitime à une seule et même tradition primordiale. – G. Persigout termine son étude sur Ivresse bachique et Sommeils initiatiques, dont nous avons parlé précédemment. – Dans le numéro de janvier, François Ménard examine les difficultés qu’il y a à faire comprendre la Notion de Connaissance ésotérique dans le monde moderne, et surtout aux esprit imbus des préjugés dus à la « culture » universitaire ; il fait remarquer très justement que tous les « progrès » des sciences telles qu’on les conçoit aujourd’hui ne font pas avancer d’un pas dans la voie de la véritable connaissance, et aussi que, contrairement à la prétention de tout exprimer en termes clairs (qu’il impute au « matérialisme scientifique », mais qui est en réalité d’origine cartésienne), il y a toujours lieu de réserver la part de l’inexprimable, dont la connaissance constitue proprement l’ésotérisme au sens le plus strict de ce mot. Mars 1938 – Dans le Speculative Mason (numéro de janvier), deux articles sont consacrés respectivement à la « lumière » et à l’« arc-en-ciel », dans leurs rapports avec le symbolisme de Royal Arch. – Dans un autre article est étudié ce qu’on appelle le Plot Manuscript, c’est-à-dire un ancien manuscrit maçonnique qui n’a jamais été retrouvé, et qu’on connaît seulement par les citations qu’en fait le Dr Robert Plot dans sa Natural History of Staffordshire, publiée en 1686. Nous noterons à ce propos que, si l’on considère d’une part l’attitude de dénigrement prise par ce Dr Plot a l’égard de la Maçonnerie, et d’autre part sa connexion avec Elias Ashmole, il y a là quelque chose qui ne contribue guère à rendre vraisemblable le rôle initiatique que certains attribuent assez gratuitement à ce dernier. D’un autre côté, il est curieux de trouver chez le Dr Plot la « source » d’un des arguments que fait valoir, contre la filiation « opérative » de la Maçonnerie moderne, M. Alfred Dodd dans son livre sur Shakespeare dont nous avons parlé le mois dernier : il s’agit de l’édit abolissant la Maçonnerie sous Henry VI ; ce roi, qui était alors âgé de trois ou quatre ans, est dit cependant l’avoir révoqué lui-même quand il fut arrivé à l’âge d’homme, et avoir au contraire approuvé alors les Charges ; mais le Dr Plot déclare ce fait « improbable », sans en donner aucune raison valable, et M. Dodd se contente de le passer sous silence. Les découvertes les plus récentes apportent d’ailleurs parfois des confirmations assez remarquables aux dires de ces anciens manuscrits, en même temps que des démentis aux historiens modernes qui les ont critiqués à tort et à travers : il en est ainsi notamment dans le cas d’Edwin, dont l’existence a été si discutée ; la seule erreur de certains manuscrits est d’en avoir fait le fils du roi Athelstan, alors qu’il était en réalité son frère ; mais, comme on a trouvé une charte où sa signature est suivie d’un titre le désignant comme l’héritier du trône, cette confusion même est parfaitement explicable ; et voilà encore un exemple assez instructif de ce que vaut la « critique » moderne ! Avril 1938 – Dans le Mercure de France (numéro du 1er février), un article de M. Albert Shinz sur Le Songe de Descartes soulève de nouveau une question qui a déjà donné lieu à bien des discussions plus ou moins confuses, celle d’une prétendue affiliation rosicrucienne de Descartes. La seule chose qui ne semble pas douteuse, c’est que les manifestes rosicruciens, ou soi-disant tels, qui furent publiés dans les premières années du XVIIe siècle, éveillèrent une certaine curiosité chez le philosophe, et que celui-ci, au cours de ses voyages en Allemagne, chercha à entrer en relations avec leurs auteurs, qu’il prenait d’ailleurs simplement pour de « nouveaux savants », ce qui n’était pas de quelqu’un de très « averti » ; mais ces rosicruciens, quels qu’ils fussent (ce n’étaient certainement pas, en tout cas, des « Rose-Croix authentiques », comme le voudrait M. Maritain, qui fit paraître un article sur le même sujet dans la Revue Universelle de décembre 1920), ne paraissent pas avoir jugé à propos de satisfaire son désir, et même s’il lui arriva d’en rencontrer quelqu’un, il est fort probable qu’il n’en sut jamais rien. Le dépit que lui inspira cet échec s’exprima assez nettement dans la dédicace d’un ouvrage intitulé Thesaurus Mathematicus, qu’il se proposa d’écrire sous le pseudonyme de « Polybius le Cosmopolite », mais qui resta toujours à l’état de projet ; il vaut la peine, pour qu’on puisse en juger en toute connaissance de cause, d’en reproduire intégralement la traduction : « Ouvrage dans lequel on donne les vrais moyens de résoudre toutes les difficultés de cette science, et on démontre que relativement à elle l’esprit humain ne peut aller plus loin ; pour provoquer l’hésitation ou bafouer la témérité de ceux qui promettent de nouvelles merveilles dans toutes les sciences ; et en même temps pour soulager dans leurs fatigues pénibles les Frères de la Rose-Croix, qui, enlacés nuit et jour dans les nœuds gordiens de cette science, y consument inutilement l’huile de leur génie ; dédié de nouveau aux savants du monde entier et spécialement aux très illustres Frères Rose-Croix d’Allemagne. » Ce qui est plutôt stupéfiant, c’est que certains ont voulu précisément voir là un indice de « rosicrucianisme » ; comment peut-on ne pas sentir toute l’ironie méchante et rageuse d’une semblable dédicace, sans parler de l’ignorance manifeste dont témoigne la persistance de son auteur à assimiler les Rose-Croix aux savants et « chercheurs » profanes ? Il est vrai que le parti pris s’en mêle quelquefois, dans un sens ou dans l’autre ; mais, en tout cas, réunir cartésianisme et ésotérisme dans une commune admiration ou dans une commune haine, c’est là faire également preuve, du moins en ce qui concerne l’ésotérisme, d’une assez belle incompréhension ! Descartes est, bien certainement, le type même du philosophe profane, dont la mentalité antitraditionnelle est radicalement incompatible avec toute initiation ; cela ne veut d’ailleurs certes pas dire qu’il n’ait pas été, par contre, accessible à certaines « suggestions » d’un caractère suspect ; et n’est-ce pas même ainsi que pourrait s’interpréter le plus vraisemblablement la prétendue « illumination » qui lui vint sous les apparences d’un songe plutôt incohérent et saugrenu ? – Dans les Archives de Trans (numéro de décembre), M. J. Barles examine l’activité de Desaguliers en 1723-1724 : il continua à exercer les fonctions de Député Grand-Maître pendant cette année, qui fut celle de la Grande-Maîtrise du comte de Dalkeith ; à celui-ci succéda, le 24 juin 1724, le duc de Richmond, qui prit pour Député le chevalier Martin Folkes (que Thory, sans doute par erreur, mentionne avec cette qualité à la date de 1723). Ajoutons que Desaguliers devait reprendre les mêmes fonctions, l’année suivante, sous le comte d’Abercorn ; nous ne voyons donc pas qu’on puisse dire que « sa collaboration avec le duc de Wharton dut lui être défavorable » ; et, d’autre part, il semble bien que M. Barles continue à confondre, comme dans son précédent article, le comte de Dalkeith avec son prédécesseur le duc de Wharton, ce qui altère évidemment l’enchaînement des faits qu’il envisage ici. – Dans le Symbolisme (numéro de février), Oswald Wirth revient encore sur ce qu’il appelle le Maçonnisme, qu’il paraît d’ailleurs associer étroitement à la seule conception « spéculative » ; « ce qui manque à la Maçonnerie moderne, dit-il, c’est l’instruction maçonnique » ; cela n’est que trop vrai, certes, mais les premiers responsables n’en sont-ils pas, précisément, les « penseurs » qui mutilèrent cette instruction en réduisant la Maçonnerie à n’être plus que « spéculative » ? – G. Persigout consacre son article à La sortie de l’Antre et la « Délivrance » ; il semble donc qu’il s’agisse du même sujet que celui que nous traitons d’autre part ici même, et pourtant les considérations qu’il expose n’ont qu’assez peu de rapport avec les nôtres ; en fait, il s’agit surtout là d’une tout autre question, celle du « vase sacré » et du « breuvage d’immortalité ». Signalons à l’auteur que, suivant la tradition hindoue, Dhanvantari (dont le rôle est comparable à celui d’Asklêpios ou Esculape chez les Grecs) n’a point « apporté du ciel » le vase contenant l’amrita, mais qu’il a été produit, tenant ce vase à la main, du « barattement de l’Océan » ; cela fait une sensible différence au point de vue symbolique. – Dans le journal France-Amérique du Nord (numéro du 30 janvier), M. Gabriel Louis-Jaray, reproduisant les réflexions que nous avons consacrées il y a quelque temps à un article publié par lui dans le Mercure de France, les fait suivre de quelques commentaires qui semblent indiquer qu’il ne les a pas entièrement comprises : nous n’avons pas dit que Franklin « était probablement Maçon », car il est tout à fait certain qu’il l’était, ni que « la Maçonnerie symbolique issue de la Grande Loge d’Angleterre perdit son influence » à l’époque dont il s’agit, car la Loge Les Neuf Sœurs elle-même ne relevait assurément de rien d’autre que de cette Maçonnerie symbolique ; seulement, en fait, il y avait alors bien longtemps déjà que la Maçonnerie française était devenue complètement indépendante de la Grande Loge d’Angleterre qui lui avait donné naissance un demi-siècle plus tôt. M. Gabriel Louis-Jaray demande aussi aux Études Traditionnelles (notre compte rendu n’était pourtant pas anonyme !) de « préciser comment elle voit (sic) le rôle « étrange » de Franklin » ; la réponse est bien facile : dès lors que nous disions que ce personnage semble bien avoir été surtout « l’agent de certaines influences extrêmement suspectes », il ne pouvait qu’être parfaitement évident, pour tous nos lecteurs, que les influences en question étaient celles de la « contre-initiation ». Il va de soi que c’est là quelque chose qui dépasse de beaucoup le point de vue de « politique extérieure » auquel l’auteur de l’article déclare avoir voulu se borner ; cette expression implique d’ailleurs, en elle-même, une conception « particulariste » dans le cadre de laquelle rien de ce qui fait l’objet de nos études ne saurait rentrer. Du reste, si nous ajoutons que Cromwell nous paraît bien aussi avoir joué antérieurement un rôle tout à fait du même genre que celui de Franklin, M. Gabriel Louis-Jaray comprendra peut-être qu’il ne s’agit pas là simplement de politique « anglaise » ou « anti-anglaise », mais de quelque chose où, en réalité, l’Angleterre, l’Amérique ou d’autres nations peuvent être « utilisées » tour à tour, suivant les circonstances, pour des fins qui n’ont sans doute pas grand’chose à voir avec leurs intérêts particuliers ; se servir de quelqu’un, homme ou peuple, n’est pas du tout la même chose que le servir, même s’il se trouve que les effets extérieurs coïncident accidentellement. – Dans le Speculative Mason (numéro d’avril), la suite de l’étude intitulée The Preparation for Death of a Master Mason est consacrée à la conception « cyclique » de la vie, envisagée plus spécialement dans la correspondance analogique avec le cycle annuel. – Signalons aussi un article sur les allusions maçonniques contenues dans les œuvres de Rudyard Kipling, et un autre sur le symbolisme de la truelle dans la Mark Masonry. – Dans le Grand Lodge Bulletin d’Iowa (numéro de février), un article est consacré au rôle joué, dans la Maçonnerie, par le « Livre des Constitutions » et par les Old Charges qui l’ont précédé. – Dans le numéro de mars, à propos de l’expression de « Loge bleue », qui est employée couramment comme synonyme de « Loge symbolique » (c’est-à-dire travaillant aux trois grades d’Apprenti, de Compagnon et de Maître), le symbolisme de la couleur bleue est étudié, ainsi que sa connexion historique avec le Tabernacle et le Temple de Salomon. Juin 1938 – Dans le Symbolisme (numéro de mars), G. Persigout étudie les Ascensions mithriaque, pythagoricienne, judéo-chrétienne et hermétique, c’est-à-dire ce qui, dans ces différentes traditions, représente « l’action purificatrice du Feu, le désir ascensionnel de l’Âme et le mystère final de la Libération » ; cet exposé manque malheureusement de netteté, et la trop grande part qui y est faite à des informations de source toute profane y est bien certainement pour quelque chose ; le « syncrétisme psychique des traditions religieuses », notamment, nous rappelle les pires incompréhensions des « historiens des religions », qui prennent pour des « emprunts » purement extérieurs toutes les similitudes symboliques qu’ils constatent sans pouvoir en pénétrer le sens profond. – Dans le numéro d’avril, F. Ménard étudie Le Principe d’analogie, en insistant surtout, à très juste raison, sur l’application du « sens inverse ». Juillet 1938 – Le Grand Lodge Bulletin d’Iowa (numéro de mai) étudie les raisons pour lesquelles, suivant la tradition de la Maçonnerie opérative, la première pierre d’un édifice doit être posée dans l’angle nord-est (symboliquement tout au moins, si la disposition des lieux ne permet pas que cette orientation soit exacte en fait) ; c’est là une question qui, au fond, se rattache à celle des « circumambulations », avec une relation plus particulière à la marche du cycle diurne. – Dans le Symbolisme (numéro de mai), Oswald Wirth envisage La Rénovation du Rituel, sujet bien dangereux, car il serait fort à craindre qu’une telle « rénovation » ne soit surtout une « altération » ; nous ne voyons pas ce que l’introduction de « moyens modernes » peut ajouter à la valeur d’un rituel initiatique, qui d’ailleurs ne gagne jamais rien à être entouré de « cérémonies » superflues ; et, d’autre part, y a-t-il beaucoup de chances pour que ceux qui seraient chargés de cette tâche soient capables de discerner l’essentiel, qui ne peut en aucun cas être modifié, sous peine d’irrégularité ou même de nullité au point de vue de la transmission initiatique ? – G. Persigout parle de Correspondances, Analogie, Intériorité ; nous ne voyons pas bien pourquoi il proteste contre l’expression de « correspondance analogique », qui n’identifie pas, comme il semble le croire, les correspondances et l’analogie, et qui en ferait d’ailleurs un pléonasme pur et simple ; en fait, il y a des correspondances qui sont analogiques et d’autres qui ne le sont pas. Nous ne comprenons pas davantage pourquoi les correspondances devraient constituer un « système » parce qu’elles ont un « contenu doctrinal », ni pourquoi ce contenu devrait se borner à être celui des sciences dites « positives », qui ne sont en réalité que les sciences profanes, alors que les véritables correspondances sont au contraire celles qui se fondent sur les sciences traditionnelles ; mais, quand on voit comment l’auteur cite et utilise pour sa thèse les idées de certains philosophes contemporains, on ne peut guère s’étonner qu’il n’aperçoive pas très clairement la distinction de ces deux ordres de connaissance… – La Revue Internationale des Sociétés Secrètes numéro du 1er mai) achève l’examen de la biographie du duc de Wharton : il en résulte qu’il séjourna à peu près un an en France, en 1728-1729, d’où la conclusion, assurément très plausible, que c’est pendant cette période qu’il dut être Grand-Maître des Loges de France ; qu’il ait été le premier à porter ce titre, cela est vraisemblable aussi, même si l’introduction de la Maçonnerie en France remonte à 1725. – Dans le numéro du 15 mai, il s’agit d’établir la chronologie des successeurs du duc de Wharton : si le chevalier James Hector Macleane lui succéda immédiatement, il dut être élu lorsque le duc de Wharton quitta la France pour l’Espagne, c’est-à-dire en 1729, et il resta sans doute en fonctions jusqu’en 1736 ; à cette dernière date, il fut remplacé par Charles Radcliffe, comte de Derwentwater, dont le nom a été si bizarrement transformé en « d’Harnouester », et qui eut lui-même pour successeur, en 1738, le duc d’Antin, premier Grand-Maître français ; à partir de là, l’histoire est beaucoup mieux connue, et la série des Grands-Maîtres ne présente plus aucune obscurité. Octobre 1938 – Dans le Speculative Mason (numéro de juillet), étude sur le Passing, c’est-à-dire l’initiation au grade de Compagnon, ainsi appelée parce qu’elle représente une phase transitoire entre l’Apprentissage et la Maîtrise ; l’interprétation qui est donnée de la « Géométrie », comme associée plus spécialement à ce grade, appellerait quelques réserves et surtout beaucoup de compléments. – Dans la suite de The Preparation for Death of a Master Mason, il est question des différents stades de la vie humaine, avec référence plus particulière aux quatre âshramas de la tradition hindoue, et du processus de « mort graduelle » pendant la vie même, qui est comme un acheminement vers la libération finale. – Dans le Symbolisme (numéro de juin), signalons une courte étude de François Ménard sur le Symbolisme du Tablier, mis en corrélation avec certains des centres subtils de l’être humain, ce qui en fait tout autre chose que le simple « symbole du travail » qu’on y voit exotériquement, à moins pourtant qu’on ne précise qu’il s’agit d’un travail proprement initiatique ; la méprise qui se produit habituellement à cet égard est, comme il le fait remarquer, exactement comparable à celle à laquelle donne lieu le sens du mot « opératif ». – Dans le numéro de juillet, Oswald Wirth et Albert Lantoine reprochent une fois de plus à la Maçonnerie anglaise de méconnaître le « pur Maçonnisme », qu’ils croient être représenté par les Constitutions d’Anderson, alors qu’au contraire celles-ci s’en écartaient fort, et que les modifications adoptées par la suite sous l’influence des « Anciens » tendent à s’en rapprocher dans une certaine mesure, pour autant que le permettent les limitations « spéculatives ». La déclaration initiale des Constitutions ne fut modifiée qu’en 1815, comme conséquence de l’union des « Anciens » et des « Modernes », et non pas dès 1738 comme certains l’ont cru à tort ; la seconde rédaction d’Anderson, celle de 1738, ajoutait seulement des allusions au « vrai Noachite » et aux « trois grands articles de Noé », qu’Oswald Wirth trouve « énigmatiques », et qui le sont en effet en ce sens qu’il y a là un rappel de quelque chose qui peut remonter fort loin ; mais, dans la pensée très peu ésotérique d’Anderson lui-même, les trois articles en question ne pouvaient pas signifier autre chose que « paternité divine, fraternité humaine et immortalité », ce qui n’a certes rien de bien mystérieux… Quant à la question des Landmarks, qu’Albert Lantoine vise plus particulièrement, elle est assurément obscure par plus d’un côté ; mais à qui en imputer la faute première, sinon aux fondateurs de la Maçonnerie « spéculative » et à leurs connaissances par trop insuffisantes, sans parler des préoccupations d’ordre « extra-initiatique » qui influèrent grandement sur leur travail et ne contribuèrent pas précisément à en faire un « chef-d’œuvre », au sens proprement « opératif » de cette expression ? – Dans la Revue Internationale des Sociétés Secrètes (numéro du 15 juin), les articles sur Les Ancêtres de la Franc-Maçonnerie en France se continuent par un examen de la « légende des Stuarts » ; l’auteur critique justement Gustave Bord, qui, en tant qu’historien, « s’en est toujours tenu à la lettre des documents », ce qui est fort insuffisant ; mais ses propres arguments, sur la question dont il s’agit, ne nous paraissent pas des plus convaincants, et, si l’on peut assurément admettre que l’activité maçonnique des partisans des Stuarts fut plus considérable que la leur propre, il est tout de même bien difficile de supposer qu’elle s’exerça entièrement à leur insu et qu’ils ne jouèrent pas tout au moins ce qu’on peut appeler un rôle d’apparat, à quoi se réduit en fait la fonction de bien des dignitaires « officiels », dans la Maçonnerie comme ailleurs. En tout cas, pour ce qui est de l’affirmation qu’il n’y a jamais eu de Maçonnerie « jacobite » ou « orangiste », mais qu’il y a toujours eu « la Maçonnerie ») purement et simplement, rien ne saurait être plus faux ; à partir de 1717, il n’y a jamais eu, au contraire, que de multiples organisations maçonniques de tendances fort divergentes, et les actuels différents de la Maçonnerie « latine » et de la Maçonnerie « anglo-saxonne », pour ne prendre que l’exemple le plus manifeste, montrent bien que rien n’est changé à cet égard depuis le XVIIIe siècle ! – Dans les numéros des 1er et 15 juillet, cette série d’articles se termine par une étude, à vrai dire très partiale, de la biographie de Ramsay ; s’il en résulte assez clairement que le fameux discours qui lui est attribué est bien authentique, on ne peut cependant en tirer aucune conclusion en ce qui concerne son rôle effectif dans l’institution des hauts grades dits « écossais », ce qui eût été le point le plus intéressant à éclaircir. Quant à l’idée d’interpréter le discours de Ramsay en y traduisant « Croisés » par « Rose-Croix », elle est du domaine de la fantaisie pure ; l’auteur paraît d’ailleurs se faire, du Rosicrucianisme et de ses rapports avec la Maçonnerie, une conception vraiment extraordinaire et qui ne répond à aucune réalité. Novembre 1938 – Le Grand Lodge Bulletin d’Iowa (numéro de septembre) donne une étude sur la clef comme symbole du silence ; c’est là en effet une de ses multiples significations, mais qui n’est d’ailleurs qu’assez secondaire ; et il est permis de penser que son importance, dans la Maçonnerie même, tient plutôt, en premier lieu, à sa connexion avec le symbolisme de Janus. – Dans France-Amérique du Nord (numéro du 11 septembre), M. Gabriel Louis-Jaray reproduit la note que nous avons consacrée à son précédent article sur Franklin, en la faisant suivre de ces quelques réflexions : « Tous ceux qui s’intéressent au rôle éminent de Franklin d’abord en Angleterre contre la France, puis en France contre l’Angleterre, et à ses vues hostiles sur plus d’un point à celles de Washington, aimeraient que M. René Guénon explique pour ceux qui suivent cette histoire comment il conçoit l’action de Franklin et la « contre-initiation » dont il parle. Dans son livre La Franc-Maçonnerie et la Révolution intellectuelle du XVIIIe siècle, M. Bernard Fay, qui consacre tout un chapitre à Franklin, le qualifie de « Maçon orthodoxe du teint le plus pur ». En historien, je demanderai à M. René Guénon de nous expliquer son point de vue, puisqu’il ne semble pas partager celui de M. Bernard Fay. » Il est plutôt amusant qu’on veuille nous opposer l’opinion de M. Bernard Fay, qui, même en admettant qu’il soit un historien impartial (ce qui est fort douteux d’après ce que nous en savons, bien que nous n’ayons pas eu l’occasion de lire son livre), ne peut en tout cas avoir aucun moyen de savoir en quoi consiste réellement l’orthodoxie maçonnique. Washington, de même que La Fayette, était assurément un honnête « Maçon orthodoxe » ; sa divergence même avec Franklin n’indiquerait-elle pas déjà que celui-ci était tout autre chose ? Pour le surplus, nous ne pouvons répondre à M. Gabriel Louis-Jaray « en historien », puisque tel n’est pas notre point de vue, ni répéter tout ce que nous avons écrit sur la question de la « contre-initiation » ; nous sommes obligé de le prier de bien vouloir s’y reporter si cela l’intéresse, en attirant notamment son attention sur les indications que nous avons données quant aux particularités suspectes du sceau des États-Unis ; et nous lui signalerons en outre qu’il doit exister un portrait de Franklin, gravé à l’époque, et portant cette devise dont le caractère « luciférien » est assez frappant : « Eripuit coelo fulmen sceptrumque Tyrannis. » Décembre 1938 – Dans le Speculative Mason, la suite de l’étude sur The Preparation for Death of a Master Mason envisage la « Tradition Sacrée », qui est représentée symboliquement dans les Loges par la Bible parce que celle-ci est, en fait, le Livre sacré de l’Occident depuis l’époque chrétienne, mais qui ne doit point être considérée cependant comme se limitant à ce seul Livre, mais au contraire comme comprenant également et au même titre les Écritures inspirées de toutes les formes traditionnelles diverses, qui ne sont qu’autant de branches dérivées de la même Sagesse primordiale et universelle. Un autre article est encore consacré à la question des Landmarks, qui est, comme l’on sait, le sujet de discussions interminables ; il l’éclaire quelque peu en se référant à la signification originelle du mot, appliqué dans la Maçonnerie opérative aux marques par lesquelles étaient fixés le centre et les angles d’un édifice avant sa construction, ce qui, par transposition, peut permettre d’interpréter les caractères généralement reconnus aux Landmarks dans le sens d’une vérité immuable, universelle et intemporelle en elle-même, et en même temps susceptible, dans les différents domaines d’existence et d’action, d’applications qui sont comme autant de reflets, à des degrés divers, d’un « Archétype » purement spirituel ; et il va de soi que, dans ces conditions, les véritables Landmarks ne peuvent en aucune façon être assimilés à un ensemble de règles écrites, qui ne sauraient en exprimer tout au plus que le reflet le plus indirect et le plus lointain. – Dans le Symbolisme (numéro d’août-septembre), Oswald Wirth critique assez justement la tendance excessive des Maçons américains à se parer de titres et d’insignes de tout genre ; mais peut-être ne marque-t-il pas assez nettement la distinction qu’il convient de faire entre les grades authentiques des différents rites maçonniques et les multiples organisations « à côté » qui, même lorsqu’elles sont exclusivement réservées aux Maçons, n’en ont pas moins un caractère en quelque sorte « parodique », du fait qu’elles sont dépourvues de toute valeur initiatique réelle. – Dans le numéro d’octobre, il s’attaque une fois de plus à la présence obligatoire de la Bible dans les Loges anglo-saxonnes ; pourtant, si on l’envisage comme symbolisant la « Tradition Sacrée » au sens qui a été indiqué ci-dessus, nous ne voyons pas à quelles difficultés elle peut donner lieu ; mais il est vrai que, pour comprendre cela, il faudrait ne pas voir la Bible à travers les opinions des « critiques » modernes, qui sont à l’opposé de toute connaissance d’ordre ésotérique et initiatique. – Dans les deux mêmes numéros, Ubaldo Triaca expose ses « vues personnelles » sur une Rénovation maçonnique qui pourrait mettre fin aux divergences actuelles ; il reproche aux Obédiences « latines » d’avoir trop souvent laissé s’établir en fait une tendance antireligieuse, alors que la Maçonnerie devrait être à la religion dans le rapport de l’ésotérisme à l’exotérisme ; aux Obédiences anglo-saxonnes, il reproche au contraire de confondre le point de vue maçonnique avec celui de la religion exotérique, et c’est encore la question de la Bible qui est ici le principal grief, ce qui montre que l’idée du sens profond des Écritures sacrées est décidément bien oubliée de nos jours. L’explication du rôle de la Bible par l’influence d’un milieu protestant est d’ailleurs ici tout à fait insuffisante et superficielle ; et, pour ce qui est de la proposition de remplacer la Bible entière par le seul Évangile de saint Jean, nous ne voyons pas ce que son adoption changerait en réalité, car, dans l’un et l’autre, c’est toujours, au fond, une portion plus ou moins étendue de la « Tradition Sacrée » qui serait prise pour en représenter symboliquement la totalité. |
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