|
Écrits pour Regnabit, René Guénon, éd. Archè, Nino Aragno Editore, 1999 |
p... | |||
Dans son introduction au premier ouvrage posthume de René Guénon (1886-1951), Initiation et réalisation spirituelle, paru en 1952, Jean Reyor – alias Marcel Clavelle (1905-1988) – a souligné les problèmes posés par la publication des œuvres posthumes de Guénon, en renvoyant à sa propre correspondance avec l’auteur : « Dans des lettres datées du 30 août et du 24 septembre 1950, il nous exprimait, entre autres choses, le désir que soient réunis en volumes les articles qu’il n’avait pas encore utilisés dans ses livres déjà existants : “Il y aurait seulement, nous écrivait-il, la difficulté de savoir de quelle façon les arranger pour en former des ensembles aussi cohérents que possible, ce qu’actuellement je serais incapable de dire moi-même… Si jamais je pouvais arriver à préparer quelque chose, ce dont malheureusement je doute de plus en plus, je préférerais arranger avant tout un ou deux recueils d’articles sur le symbolisme, et peut-être aussi une suite aux Aperçus sur l’initiation, car il me semble qu’il y aura bientôt assez d’articles touchant à ce sujet pour pouvoir former un deuxième volume”. »1 La composition d’un livre constitué d’un ensemble d’écrits rassemblés après la mort de leur auteur présente sans aucun doute des difficultés, une fois franchi le cap des questions et des objections préalables ; ces difficultés, nous les avons nous aussi rencontrées, d’abord en imaginant, puis en concrétisant l’édition du présent recueil. Écrits pour Regnabit rassemble tous les articles réalisés et publiés par René Guénon – nous reviendrons sur le sens de cette distinction – dans la revue catholique Regnabit entre 1925 et 1927. Il avait alors déjà à son actif plusieurs ouvrages importants et il publia, durant cette période, d’autres titres non moins importants : Introduction générale à l’étude des doctrines hindoues2, Le Théosophisme : Histoire d’une pseudo-religion3, L’Erreur spirite4, Orient et Occident5, L’Ésotérisme de Dante6, L’Homme et son devenir selon le Vedanta7, Le Roi du Monde8 et La Crise du monde moderne9. Le lecteur qui, de nos jours, aborde l’imposante bibliographie de René Guénon, s’aperçoit d’emblée qu’elle comporte, d’une part, des ouvrages écrits du vivant de l’auteur – souvent construits à partir d’articles retravaillés et réunis autour d’un thème central – et, d’autre part, un certain nombre de recueils posthumes où sont repris les nombreux articles que Guénon avait fait paraître dans des revues. Certains de ces articles ont été publiés dans des revues d’intérêt général, telles que La Revue hebdomadaire, La Revue bleue ou Le Monde nouveau, auxquelles Guénon a épisodiquement collaboré ; il s’agit, presque exclusivement, des premières moutures de chapitres de l’Introduction générale à l’étude des doctrines hindoues et d’Orient et Occident. Quelquefois, les articles de Guénon – notamment dans la revue Vient de paraître – sont de simples comptes rendus ; d’autres fois, il s’agit d’interventions sporadiques dans des revues comme les Cahiers du Sud, The Speculative Mason et Au Christ-Roi. Des contributions plus significatives figurent en revanche dans La Gnose, « revue consacrée à l’étude des sciences ésotériques » et organe officiel de l’Église gnostique universelle – où Guénon a écrit de 1909 à 1912 sous le pseudonyme de « Palingénius » –, ainsi que dans La France anti-maçonnique, à laquelle Guénon a participé en 1913-1914, signant ses articles « Le Sphinx » (il semble toutefois qu’il ait écrit “officieusement” dans cette dernière revue dès 1909). Certains des articles parus dans ces deux revues ont été rassemblés dans le recueil posthume Études sur la Franc-Maçonnerie et le Compagnonnage10. Mais, comme chacun sait, la partie la plus substantielle des écrits de Guénon a vu le jour, à partir de 1925, dans Le Voile d’Isis, qui deviendra en 1936 Études Traditionnelles ; c’est là que Guénon a développé tous les aspects de sa pensée et qu’il a publié la plupart des textes qui formeront, après avoir été remaniés, les ouvrages édités de son vivant et bon nombre de ses œuvres posthumes. Dans ce tableau, la participation de Guénon à Regnabit occupe une place à part ; malgré son caractère exceptionnel, elle n’a pas reçu toute l’attention qu’elle méritait, n’ayant jamais été étudiée dans son ensemble11. C’est cette lacune que le présent volume entend combler. S’il nous fallait résumer en une phrase ce qui donne à ce recueil son caractère particulier, nous emprunterions à Guénon ses propres expressions, lorsqu’il justifie sa participation à Regnabit en indiquant qu’il s’agit pour lui de se situer « plus spécialement dans la “perspective” de la tradition chrétienne, avec l’intention d’en montrer le parfait accord avec les autres formes de la tradition universelle. »12 Par là s’explique sans doute « le fait, malgré tout étonnant, qu’il ne faisait jamais référence [dans Regnabit] à ses propres ouvrages consacrés aux doctrines hindoues, alors que d’une façon générale c’est dans ces doctrines que son enseignement prenait surtout son point d’appui. »13 En plus des aspects déjà évoqués dont l’importance n’aura échappé à personne, c’est la construction intellectuelle bien établie que Guénon met à profit lorsqu’il écrit ces articles ainsi que la continuité conceptuelle et chronologique dans laquelle ils s’inscrivent, qui nous ont finalement décidé à entreprendre leur publication. Toutes les contributions de René Guénon à la revue Regnabit sont rassemblées dans le présent volume. Elles sont ainsi, pour la première fois, accessibles intégralement et dans leur ordre chronologique, qui restitue la logique du développement conceptuel de cette partie de l’œuvre de Guénon. Jusqu’à présent, ces articles n’étaient disponibles que sous une forme fragmentaire, à travers les réélaborations successives effectuées par l’auteur ou des rééditions partielles dans les recueils posthumes. Nous croyons qu’à partir de cette source il sera possible d’apporter de nouveaux éclairages sur l’œuvre et la doctrine de Guénon. Il nous faut encore préciser un point avant de terminer notre discours. Comme chacun sait, l’œuvre doctrinale si complexe de René Guénon et, plus généralement, l’acception nouvelle prise par le mot “ésotérisme” sur la base de ses travaux, sont aujourd’hui au centre d’un vaste débat. Des discussions approfondies sont en cours, tant sur le plan historique que sur ceux de la phénoménologie et de l’herméneutique. C’est justement le désir d’approfondir encore davantage les recherches doctrinales et historiques – sur le texte aussi bien que sur le contexte – qui est à l’origine de la présente publication et en constitue la raison d’être. En procédant de la sorte, nous n’entendons nullement négliger l’aspect méthodologique de la recherche, c’està-dire le moment où l’on discerne les significations et où, le cas échéant, l’on formule des jugements ; plus simplement, nous souhaitons aborder le sujet sous un angle historique et phénoménologique, ce qui n’exclut pas le jugement, mais le suspend au profit d’une description qui laisse, autant que possible, les textes parler d’eux-mêmes. PierLuigi Zoccatelli —————————— [1] Jean Reyor, Avant-Propos, in René Guénon, Initiation et réalisation spirituelle, Paris : Éditions Traditionnelles, 1952, p. 7. [2] Cf. R. Guénon, Introduction générale à l’étude des doctrines hindoues, Paris : Marcel Rivière, 1921. [3] Cf. Idem, Le Théosophisme : Histoire d’une pseudo-religion, Paris : Nouvelle Librairie Nationale, 1921. [4] Cf. Idem, L’Erreur spirite, Paris : Marcel Rivière, 1923. [5] Cf. Idem, Orient et Occident, Paris : Payot, 1924. [6] Cf. Idem, L’Ésotérisme de Dante, Paris : Charles Bosse, 1925. [7] Cf. Idem, L’Homme et son devenir selon le Vêdânta, Paris : Bossard, 1925. [8] Cf. Idem, Le Roi du Monde, Paris : Charles Bosse, 1927. [9] Cf. Idem, La Crise du monde moderne, Paris : Gallimard, 1927. [10] Cf. Idem, Études sur la Franc-Maçonnerie et le Compagnonnage, Paris : Éditions Traditionnelles, 2 vols., 1964. [11] Cf. PierLuigi Zoccatelli, Le Lièvre qui rumine. Autour de René Guénon. Louis Charbonneau-Lassay, et la Fraternité du Paraclet. Avec des documents inédits, Milan : Archè, 1999. [12] R. Guénon. « Le grain de sénevé », Études Traditionnelles, janvier-février 1949, p. 26 ; réédité dans Symboles fondamentaux de la science sacrée, Paris : Gallimard, 1962, p. 433. [13] Michel Vâlsan, ibid., Introduction, p. 14. |
|||||
‹‹ | ›› |