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Mélanges, René Guénon, éd. Gallimard, 1976 |
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Pour permettre d’y accéder dans un livre et d’éviter ainsi aux lecteurs des recherches dans des numéros de revues épuisés depuis longtemps, nous avons réuni sous le titre de Mélanges un certain nombre d’articles de René Guénon et de Palingénius, son pseudonyme à l’époque de La Gnose, revue fondée par lui en 1909. Nous avons divisé l’ensemble de ces articles en trois parties : Métaphysique et Cosmologie – Sciences et Arts traditionnels – De quelques erreurs modernes. Du chapitre I de la Première Partie, « Le Démiurge », qui est, croyons-nous, le premier texte qu’il donna à imprimer en 1909 à l’âge de 25 ans, jusqu’à « La science profane devant les doctrines traditionnelles », d’avril-mai 1950, il s’est écoulé plus de 40 ans. Dans cet intervalle de près d’un demi-siècle, on ne peut dire que les positions intellectuelles de Guénon aient changé beaucoup, surtout en ce qui concerne les critiques contre le monde moderne. Sur le plan de l’exposé théorique de la Doctrine traditionnelle, il est probable qu’il eût présenté « Le Démiurge » d’une autre manière sur certains points, mais sans en changer la signification profonde, puisque son point de vue métaphysique est toujours resté le même. « Monothéisme et angélologie », de 1946, explique l’erreur polythéiste comme une dégénérescence de formes traditionnelles due à l’incompréhension des véritables rapports des attributs divers avec le Principe Suprême. Guénon reprend là, mais sous une forme plus accessible à des Occidentaux, une argumentation de Shrî Shankaracharya dans son commentaire de la Mandûkyaupanishad. On notera que, déjà dans « Le Démiurge », les citations shankaryennes étaient nombreuses. « Esprit et intellect » (1947) précise que le sens des mots est fonction des différents ordres de réalité pour lesquels on les utilise. L’Intellect ou Buddhi est de nature essentiellement supra-individuelle puisqu’il n’est pas autre chose que l’expression même d’Âtmâ dans la manifestation. Si donc on prend le mot Esprit au sens d’Intellect, on doit le concevoir comme un Principe d’ordre universel, la première production de Prakriti. « Les Idées éternelles » (1947), contrairement à l’opinion de certains, ne doivent nullement être envisagées comme de simples virtualités par rapport aux êtres manifestés dont elles sont les « archétypes » principiels ; en effet, « il ne peut rien y avoir de virtuel dans le Principe, mais, bien au contraire, la permanente actualité de toutes choses dans un « éternel présent », actualité qui constitue précisément l’unique fondement réel de toute existence ». Voir les choses différemment équivaut à « couper les racines des plantes ». « Ce qui est virtuel, ce n’est point notre réalité dans le Principe mais la conscience que nous pouvons en avoir » pendant la manifestation. Le chapitre VI : « Connais-toi toi-même » est la traduction française, revue et corrigée par Guénon, d’un article en arabe qu’il avait donné en 1931 à la revue El-Ma’rifah. Rappelons que Guénon est parti pour Le Caire en mars 1930 mais que son « rattachement » au « Taçawwuf » remontait à 1912. Les « Remarques sur la notation mathématique et sur la production des nombres » ont été écrites à l’époque de La Gnose, 1910. Les premières ont été reprises et développées dans Les Principes du calcul infinitésimal édités en 1946 à la N.R.F. dans la collection « Tradition ». Les « Remarques sur la production des nombres » écrites en été 1930 font suite au « Démiurge ». On y décèle l’influence du Pythagorisme et de la Kabbale (voir « Formes traditionnelles et cycles cosmiques », IIIe partie, p. 60 à 110). « L’Initiation et les métiers » est un article moins ancien puisqu’il a paru dans Le Voile d’Isis en avril 1934. L’auteur y explique pourquoi l’initiation est devenue nécessaire à mesure que l’humanité s’éloignait de plus en plus de l’état primordial. Comme dans « Les arts et leur conception traditionnelle » Guénon expose les raisons de la dégénérescence des métiers et des arts par suite de la « chute » ou de la marche descendante du cycle actuel. Il indique toutefois la possibilité d’une initiation de « petits mystères » basée sur le métier de constructeur qui subsiste encore valablement en Occident. (Cf. à ce sujet « Aperçus sur l’initiation ».) Il est dommage que Guénon n’ait pas eu le temps de terminer « Les conditions de l’existence corporelle » commencé en janvier et février 1912, c’est-à-dire dans les deux derniers numéros de La Gnose. Malgré donc que le texte que nous redonnons ici ne concerne qu’Âkâsha et Vâyu et que les trois autres éléments : Feu – Eau – Terre (Téjas – Apa – Prithvî) n’aient pas été traités, nous avons pensé que la partie rédigée intéresserait suffisamment le public auquel il était destiné et qu’il était préférable de le faire figurer avec les autres chapitres de Mélanges. « La Gnose et les écoles spiritualistes » nous font revenir à notre point de départ, c’est-à-dire à l’époque du « Démiurge » – novembre 1909. C’est une prise de position définitive car, écrit Guénon, « un Principe universel ne peut pas s’inférer de faits particuliers… La connaissance, c’est en nous-même seulement que nous pourrons en trouver les principes et non point dans les objets extérieurs ». Une série d’articles, reproduits à partir de la page 176 de Mélanges, précisera les critiques adressées aux écoles dites spiritualistes, c’est-à-dire les occultistes, les théosophistes et les spirites, critiques qui seront renouvelées et développées dans « L’Erreur spirite » et « Le Théosophisme » quelques années plus tard. Enfin, le dernier chapitre « La science profane devant les doctrines traditionnelles », qui date d’avril 1950, réaffirme, vis-à-vis des « scientifiques » cette fois, les mêmes prises de position qu’à l’époque de La Gnose. « C’est le point de vue profane qui est illégitime comme tel puisqu’il envisage les choses sans les rattacher à aucun principe transcendant et comme si elles étaient indépendantes de tout principe. La science moderne tout entière n’a aucun droit à être considérée comme une véritable connaissance, puisque, même s’il lui arrive d’énoncer des choses qui soient vraies, la façon dont elle les présente n’en est pas moins illégitime, et elle est en tout cas incapable de donner la raison de leur vérité, qui ne peut résulter que dans leur dépendance à l’égard des principes… » « Les applications pratiques auxquelles cette science peut donner lieu sont tout à fait indépendantes de la valeur de la science comme telle… et les savants eux-mêmes reconnaissent qu’ils utilisent des forces dont ils ignorent complètement la nature ; cette ignorance est sans doute pour beaucoup dans le caractère dangereux que ces applications présentent trop souvent… » Il serait difficile de nier aujourd’hui, après un quart de siècle, la justesse des derniers avertissements de Guénon. Elle n’empêchera certes pas la destinée du cycle humain de s’accomplir mais elle permettra peut-être à certains de mieux comprendre l’époque où nous vivons et la toujours présente actualité de l’œuvre de celui que Shri Ramana Maharshi appelait « The great Sûfi ». Roger Maridort
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