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Le Théosophisme, Histoire d’une Pseudo-Religion, René Guénon, éd. Éditions Traditionnelles, 1969 |
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Au début de 1914, on apprenait l’existence à Paris d’une certaine « Église Catholique Française », appelée aussi « Église Gallicane » ; il y avait déjà, d’ailleurs, une autre « Église Gallicane », dirigée par un certain abbé Volet, et possédant un organe intitulé Le Catholique Français ; c’est le propre de ces organisations schismatiques de se multiplier presque indéfiniment, à l’instar des sectes protestantes, et de se faire une concurrence parfois peu loyale. La nouvelle Église était placée provisoirement sous le contrôle de « Mgr Arnold Henri Mathieu, comte de Landave de Thomastown, archevêque vieux-catholique de Londres, métropolitain de Grande-Bretagne et d’Irlande », en attendant la consécration, comme « métropolitain de France et des Colonies », de son vicaire général, « Mgr Pierre René, vidame de Lignières ». Il paraît que, en réalité, ce dernier personnage s’appelait tout simplement Laurain ; mais les dignitaires de cette Église avaient la manie des titres nobiliaires, comme d’autres avaient celle des décorations fantaisistes ; c’est ainsi que l’évêque Villatte, dont l’essai de « cultuelle » fit jadis un certain bruit, avait inventé l’« Ordre de la Couronne d’Épines ». Quoi qu’il en soit, il était assez singulier qu’une Église qui se proclamait fièrement « Française et non Romaine », fût soumise, même provisoirement, à l’autorité d’un Anglais ; elle se fit connaître tout d’abord, précisément comme celle de Villatte (passé depuis lors à une Église syrienne sous le nom de Mar Timotheus), par des offres de prêtres schismatiques à des communes qui se trouvaient privées de leurs curés parce que les municipalités avaient en des difficultés avec les évêques1. Bientôt, il parut un bulletin intitulé Le Réveil Catholique, qui eut exactement quatre numéros, de mars à août 1914, et dont la publication fut arrêtée par la guerre et par la mobilisation de l’« archevêque métropolitain »2. Ce bulletin, pour établir la « succession apostolique » de Mgr Mathieu, consacré par Mgr Gérard Gul, archevêque janséniste d’Utrecht, énuméra toute la lignée des archevêques et évêques jansénistes hollandais ; de ceux-ci, et à travers plusieurs intermédiaires, on remontait à Bossuet, puis au cardinal Barberini, neveu du Pape Urbain VIII. On y put voir ensuite la « division religieuse » de la France en un archevêché et huit évêchés « régionnaires » ; plusieurs de ces derniers avaient déjà des titulaires désignés, parmi lesquels deux évêques d’une prétendue « Église Orthodoxe Latine », MM. Giraud, ancien frère lai de la Trappe, et Joanny Bricaud. Celui-ci, qui est fort connu dans les milieux occultistes, se faisait appeler précédemment « S. B. Jean II, Patriarche de l’Église Gnostique Universelle », et il se prétend aujourd’hui le successeur de Papus à la tête de l’« Ordre Martiniste » et de plusieurs autres organisations ; il convient d’ajouter que ces titres lui sont contestés par d’autres occultistes ; il serait d’ailleurs difficile d’énumérer toutes les Églises et tous les Ordres auxquels M. Bricaud a affirmé se rattacher successivement ou même simultanément. Si nous signalons spécialement la présence de cet occultiste dans le personnel de l’Église dont il s’agit ici, c’est que ce fait est encore un exemple des relations qui existent entre une foule de groupements qu’on pourrait croire, à première vue, tout à fait étrangers les uns aux autres. Cependant, il ne fut nullement question du théosophisme et de ses représentants dans l’« Église Catholique Française », qui semble bien n’avoir eu, comme la plupart des autres schismes analogues, qu’une existence éphémère ; c’est dans l’Église vieille-catholique d’Angleterre, qui lui avait donné naissance, que les théosophistes commençaient alors à s’introduire. Le chef de cette Église vieille-catholique, l’archevêque Mathieu, qui s’appelle en réalité Arnold Harris Matthews, né à Montpellier de parents irlandais, s’était d’abord préparé à recevoir les ordres dans l’Église épiscopalienne d’Écosse ; puis il s’était fait catholique en 1875, et avait été ordonné prêtre à Glasgow en juin 1877. Il abandonna le sacerdoce en juillet 1889, et, en octobre 1890, il prit le nom italien d’Arnoldo Girolamo Povoleri ; il fit même paraître un avis dans le Times pour annoncer ce changement de nom. Il se maria en 1892 ; il se faisait alors appeler le Rév. comte Povoleri di Vicenza, et c’est vers la même époque qu’il prit aussi le titre de comte de Landaff ; ajoutons encore que, récemment, on le vit figurer sous le nom de marquis de Povoleri, en compagnie de son fils et de sa fille, à certaines réceptions de l’impératrice Eugénie à Bayswater, où se rencontrait d’ailleurs une société plutôt mélangée3. À un certain moment, il sembla se réconcilier avec l’Église Catholique, mais ce ne fut que pour peu de temps : en 1908, M. Mathew (c’est ainsi qu’il orthographiait maintenant son nom) se fit consacrer évêque par le Dr Gérard Gul, qui était à la tête de l’Église vieille-catholique de Hollande, formée des débris du Jansénisme unis à quelques dissidents qui, en 1870, avaient refusé d’accepter le dogme de l’infaillibilité pontificale ; les diverses Églises vieilles-catholiques (y compris celle qui est actuellement dirigée par les théosophistes) reconnaissent seulement le Pape comme « Patriarche et Primat de l’Occident ». Le nouvel évêque consacra à son tour deux autres prêtres anglais dévoyés, MM. Ignace Beale, et Arthur Howorth ; et, au bout de trois ans à peine, il fonda une « Église Catholique Orthodoxe d’Occident » répudiant toute subordination vis-à-vis d’Utrecht aussi bien que de Rome. Cette Église prit successivement diverses dénominations, qu’il serait peu utile et peu intéressant d’énumérer toutes, tandis que son chef essayait d’entrer en négociations, tantôt avec le Saint-Siège par le cardinal Merry del Val, tantôt avec l’Église Anglicane par l’archevêque de Canterbury et l’évêque de Londres, tantôt même avec l’Église Orthodoxe d’Orient par l’archevêque de Beyrouth4 ; enfin, en 1911, il fut formellement excommunié par le Saint-Siège5. En 1913, le clergé de l’« Église vieille-catholique de Grande-Bretagne et d’Irlande » (telle était la dénomination qui avait finalement prévalu) s’augmenta de plusieurs membres, tous anciens ministres anglicans et théosophistes plus ou moins en vue : M. James Ingall Wedgwood, secrétaire général de la section anglaise de la Société Théosophique (désigné dans les « vies d’Alcyone » sous le nom de Lomia), M. Rupert Gauntlett, secrétaire d’un « Ordre des guérisseurs » rattaché à la Société Théosophique, M. Robert King, spécialiste des « consultations psychiques » basées sur l’examen de l’horoscope, et M. Reginald Farrer. En 1915, l’archevêque Mathew, qui ignorait tout du théosophisme, fut épouvanté en s’apercevant que M. Wedgwood et ses associés attendaient la venue d’un nouveau Messie ; il ferma son Église vieille-catholique et offrit sa soumission à Rome, puis se ressaisit presque aussitôt et fonda une « Église Catholique Uniate d’Occident ». Ne pouvant obtenir de M. Mathew la consécration épiscopale qu’il ambitionnait, M. Wedgwood s’adressa, mais vainement, à l’évêque Vernon Herford, qui dirige une sorte de chapelle nestorienne à Oxford ; il fut plus heureux auprès de M. Frederick Samuel Willoughby, consacré par M. Mathew en 1914, et expulsé de l’Église vieille-catholique l’année suivante. M. Willoughby consacra d’abord MM. King et Gauntlett (dont le premier fonda une branche de l’Église vieille-catholique en Écosse), et ensuite, avec l’assistance de ceux-ci, M. Wedgwood, le 13 février 1916 ; dans le courant de cette même année 1916, il devait d’ailleurs faire sa soumission au Saint-Siège. M. Wedgwood partit aussitôt pour l’Australie ; il consacra à Sidney, comme « évêque pour l’Australasie », M. Charles Webster Leadbeater, ancien ministre anglican lui aussi, comme nous avons déjà eu l’occasion de le dire ; et celui-ci, assisté de M. Wedgwood, consacra à son tour, comme « auxiliaire pour l’Australasie », le « Jongheer » Julian Adrian Mazel, d’origine hollandaise. Le 20 avril 1916, une assemblée des évêques et du clergé de l’Église vieille-catholique de Grande-Bretagne adopta une nouvelle constitution, qui fut publiée sous la signature de M. Wedgwood, et dans laquelle il n’est fait, d’ailleurs, aucune allusion au théosophisme, non plus qu’au futur Messie. En novembre 1918, il y eut encore une autre déclaration de principes, dans laquelle le titre de l’Église vieille-catholique se trouve remplacé par celui d’« Église Catholique Libérale »A. Cette dernière dénomination nous fait souvenir qu’il y eut aussi en France, il y a une dizaine d’années, un essai d’« Église Catholique Libérale »6 sous le patronage de quelques occultistes, notamment de M. Albert Jounet, qui est de ceux que l’on rencontre dans beaucoup d’organisations diverses, et parfois peu compatibles entre elles en apparence tout au moins ; il fut même le fondateur d’une « Alliance Spiritualiste » qui se vantait d’opérer la conciliation de toutes les doctrines, et qui, naturellement, ne réussit guère mieux que le « Congrès de l’Humanité »7. Dans le Theosophist d’octobre 1916, Mme Besant, parlant de certains mouvements qui sont destinés, suivant elle, à acquérir une importance mondiale, mentionne parmi eux « le mouvement peu connu appelé vieux-catholique : c’est une Église chrétienne vivanteB, qui croîtra et multipliera avec les années, et qui a un grand avenir devant elle ; elle est vraisemblablement appelée à devenir la future Église de la Chrétienté quand Il viendra ». Dans le même article, il est question de deux autres mouvements, qui sont le « Theosophical Educational Trust », c’est-à-dire l’ensemble des œuvres d’éducation dirigées par la Société Théosophique, et la « Co-Maçonnerie », dont nous parlerons plus loin. C’est la première fois qu’il ait été question officiellement de l’Église vieille-catholique dans un organe théosophiste, et les espoirs que l’on fonde sur cette organisation s’y trouvent nettement définis. Du reste, M. Wedgwood lui-même, qui se montre si réservé dans ses déclarations épiscopales, est au contraire fort explicite devant ses collègues de la Société Théosophique ; en effet, il s’exprime ainsi dans un rapport à la Convention théosophique de 1918 : « L’Église vieille-catholique travaille à répandre les enseignements théosophiques dans les chaires chrétiennes ; et la partie la plus importante de sa tâche consiste à préparer les cœurs et les esprits des hommes à la venue du Grand Instructeur »8. Le but des théosophistes, en s’emparant de cette Église, est donc bien exactement celui que nous avons indiqué : c’est le même que celui pour lequel ils ont fondé précédemment l’« Ordre de l’Étoile d’Orient », avec cette seule différence que cet Ordre s’adresse à tous sans distinction, tandis que l’Église vieille-catholique est spécialement destinée à attirer ceux qui, sans avoir peut-être de principes religieux bien définis, tiennent cependant à se dire chrétiens et à en conserver au moins toutes les apparences extérieures. Voici donc la dernière transformation de M. Leadbeater, du moins jusqu’à ce jour, et les nouvelles occupations auxquelles ce « clairvoyant » se livre maintenant : « L’évêque Leadbeater fait des investigations dans le côté occulte de la messe, et il prépare un livre complet sur la science des sacrementsC… Le livre sur la messe sera illustré de diagrammes des divers stades de l’édifice eucharistique (sic), à mesure qu’il prend forme au cours de la messe. Le but et le rôle de chaque partie sont expliqués, et ainsi l’ouvrage ne contiendra pas seulement la théorie et la signification des sacrements, mais aussi la forme complète ou le côté architectural de la chose (sic)… Le principal événement de la semaine pour quelques-uns, à Sidney, est la grand’messe du dimanche matin, à laquelle l’évêque Leadbeater est toujours présent, et généralement officie ou prononce le sermon »9. Quelle sincérité peut-il y avoir dans tout cela ? La trop grande habileté des chefs théosophistes à dissimuler leurs desseins et à mener de front les entreprises les plus opposées en apparence, pourvu seulement qu’ils pensent pouvoir les faire servir à la réalisation de ces desseins, ne permet assurément pas de se faire là-dessus beaucoup d’illusions. —————————— [1] Nous pouvons citer, comme ayant reçu ces offres, la commune de Chevrières, dans le département de l’Isère. [2] L’administration était 5, rue du Pré-aux-Clercs ; le culte était célébré à l’« église Jeanne d’Arc », 18, passage Élysée des Beaux-Arts. [3] L’indépendance Belge, 10 mai 1918. [4] Signalons incidemment, à propos que des tentatives d’alliance se pour suivent actuellement entre l’Église Anglicane et certaines fractions de l’Église Orthodoxe, pour des raisons qui sont probablement plus politiques que religieuses. [5] Ces notes biographiques sont empruntées, ainsi qu’une partie des détails qui suivent, à une brochure fort documentée qui a paru en Angleterre sous ce titre : Some Fruits of Theosophy : The origins and purpose of the so-called Old Catholic Church disclosed, par Stanley Morison. [A] L’évêque Mathew est mort il y a quelques années ; d’autre part, nous avons appris aussi, au début de 1928, la mort du « Jongheer » Mazel. D’autres évêques de l’« Église catholique libérale », notamment M. Irving S. Cooper, furent, par la suite, également consacrés à Sidney ; la raison en est que c’est là que s’est réfugié M. Leadbeater, obligé de quitter l’Inde après les scandaleux procès de Madras ; On pouvait croire que l’immoralité reprochée à M. Leadbeater ne constituait qu’un cas isolé dans le milieu théosophiste ; mais on va voir que, malheureusement, il n’en est rien ; les faits que nous allons rapporter sont ceux auxquels Mme Besant fait allusion à la fin du passage que nous avons reproduit dans la note additionnelle des pp. 213-214. Ce sont ces incidents qui ont été la cause principale de la scission de la branche Agni, de Nice (voir chapitre XXI, note additionnelle E) ; cette branche, présidée par la comtesse Prozor, avait envoyé tout d’abord, le 19 novembre 1922, à toutes les autres branches françaises, une lettre-circulaire annonçant son intention de tenter « un effort d’assainissement » dans la Société Théosophique, et de chercher notamment à faire la lumière sur « les abus de pouvoir, la duplicité et la conduite éminemment immorale reprochés, les premiers à notre Présidente, la seconde à M. C. W. Leadbeater ». Cette initiative fut fort mal accueillie, et le Bulletin Théosophique de janvier 1923 publia une note d’après laquelle « le Conseil d’administration (de la section française) a jugé qu’il y avait lieu de la désapprouver », attendu qu’elle était de nature à « semer le trouble et la division au sein de la S.T. de France ». La branche Agni n’en continua pas moins à éditer toute une série de brochures « à l’usage exclusif des membres de la Société Théosophique », série qui se termina par une lettre collective de démission datée du 11 février 1923. Ces brochures contiennent des documents fort édifiants ; il est vrai qu’on avait pris soin d’en contester l’exactitude avant même qu’ils n’eussent paru entièrement, mais on n’avait rien trouvé de mieux, pour y répondre, que des déclamations dont nous empruntons l’échantillon suivant au Bulletin Théosophique de février 1923 : « Nous, théosophes, nous rangerons-nous parmi les calomniateurs ou parmi les calomniés ? D’ailleurs, lequel d’entre nous tous théosophes, se croit assez pur, assez impeccable pour jeter la pierre à l’un de nos frères, alors même que celui-ci se serait gravement trompé ? Dans cette crise qui nous atteint, cherchons une leçon. Si cette leçon, cette épreuve élargit nos vues, nous mène à plus de tolérance, à plus de compréhension et à un plus haut idéal de fraternité, elle sera noblement utile, elle sera bénie… » Il est assurément bien difficile, à moins d’être aveuglé par le parti pris, de considérer ce prêche comme constituant une réponse valable et satisfaisante. – La première des brochures éditées par la branche Agni contient notamment une lettre de M. T. H. Martyn, de Sidney, à Mme Besant, lettre datée du 20 mai 1921 (antérieure à la démission de son auteur), et dont nous extrayons ce qui suit : « En 1906, j’étais à Londres et je combattais pour votre cause et celle de Leadbeater. Ce dernier était menacé de poursuites judiciaires. Un des jeunes garçons de son entourage vint à moi en désespéré et me supplia d’essayer d’empêcher ces poursuites, car il aurait été obligé de témoigner des pratiques immorales de Leadbeater. Les poursuites n’eurent pas lieu… En 1914, Leadbeater vint vivre chez nous à Sidney. J’acceptai sa propre opinion, qui était la vôtre, et je le considérai comme un Arhat, je me soumis volontiers à son influence et je réalisai avec joie tous ses projets. Par la suite, bien des choses m’étonnèrent en lui… Par exemple, à une certaine date du mois de juillet 1917, on dit à cinq d’entre nous que nous avions reçu des initiations variées. Personne ne se souvenait de rien… À cette époque, Mme Martyn souffrait beaucoup du séjour de Leadbeater dans notre maison… Plus tard (1918-1919), la fièvre scarlatine éclata dans notre maison, elle fut cause du départ momentané de Leadbeater et de ses garçons ; tous mes efforts de persuasion ne réussirent pas à induire Mme Martyn à lui rouvrir notre demeure… En 1919, j’allai en Amérique. Le jeune Van Hook était à New-York. Il parlait librement de l’immoralité de Leadbeater et de la tromperie des « vies » (il s’agit des fameuses « vies d’Alcyone »). Voilà donc les témoignages de deux jeunes garçons de Leadbeater, celui qui vint me trouver en 1906 et le jeune Van Hook ; j’y ajoute les faits compromettants qui se passèrent dans ma maison (je ne fais qu’effleurer le sujet dans cette lettre), et une conclusion s’impose à moi : Leadbeater est un perverti sexuel. Sa manie revêt une forme particulière qui, je ne l’ai découvert que depuis peu, est fort bien connue et tout à fait commune dans les annales de la criminologie sexuelle. » Nous ne savons si le jeune garçon de 1906 est celui qu’on présentait alors comme « Pythagore réincarné » (voir chapitre XX, dernier paragraphe), ni s’il doit être identifié avec celui dont on produisit au procès de Madras une déposition, signée seulement des initiales D. D. P., et se terminant par ces lignes significatives : « Je fais cette déclaration dans l’intention d’avertir les parents pour qu’ils puissent préserver leurs enfants d’enseignements pernicieux donnés par des personnes qui devant le monde posent comme étant des guides moraux, mais dont les pratiques avilissent et détruisent des enfants et des hommes. » Quant au jeune Van Hook, c’est vraisemblablement un proche parent du Dr Weller Van Hook, secrétaire général de la section américaine de la Société Théosophique, qui avait été un des plus ardents défenseurs de Leadbeater, et qui, dans une lettre soi-disant dictée par un « Maître » et approuvée par Mme Besant, avait déclaré que « ce ne fut pas du tout un crime ou un tort d’apprendre à des garçons les pratiques en question, mais seulement le conseil d’un sage précepteur », conseil inspiré d’ailleurs « par des instructeurs supérieurs », que « l’introduction de cette question dans la pensée du monde théosophique n’est que le prélude de son introduction dans la pensée du monde extérieur », et que ces pratiques « constitueront le régime futur de l’humanité » ! Ajoutons que le Dr Van Hook a succédé, comme secrétaire général de la section américaine, à Alexander Fullerton, qui avait lui-même remplacé Judge devenu dissident (voir chapitre XVI, 5e paragraphe), et qui fut arrêté le 18 février 1910 pour avoir entretenu une correspondance immorale avec un adolescent, puis interné peu après à l’asile d’aliénés de l’État de New-York (il existe sur cette affaire une brochure de M. J. H. Fussell). C’est à ce Fullerton que Leadbeater écrivait, le 27 février 1906, une lettre dans laquelle il indiquait aussi explicitement que possible les conseils donnés par lui à ses élèves pour les aider à « se débarrasser des pensées indésirables », et pour « leur éviter pour plus tard la fréquentation des femmes » ; et il ajoutait : « Un médecin objecterait peut-être à cette pratique qu’elle pourrait dégénérer en abus irréfréné de soi-même (self-abuse), mais ce danger peut facilement être écarté par une franche explication. » Mais reprenons maintenant la lettre de M. Martyn : « Ceci, continue-t-il, m’amène en 1919 et à ma visite à Londres… En octobre 1919, j’allai voir Mme Saint-John. Je la trouvai en proie à un grand trouble, parce que la police poursuivait, me dit-elle, quatre prêtres de l’Église catholique libérale : Wedgwood, King, Farrer et Clark. Elle aurait voulu avertir Wedgwood en Australie et ne savait pas comment le faire, dans la crainte de se trouver incriminés de complicité. Ferrer, me dit-elle, avait quitté la contrée, et elle était sûre que la police ne le trouverait pas, King avait décidé de rester à Londres jusqu’au bout, puisque Farrer était en sûreté… Naturellement, pendant que j’étais à Londres, j’avais connu les accusations d’homosexualité portées contre Wedgwood par le major Adams et d’autres ; des rapports sur le même sujet, le concernant, m’étaient également parvenus de Sydney, mais ce que Mme Saint-John me dit me surprit. Une semaine après,… vous me dîtes que vous souhaitiez communiquer avec Wedgwood à Sydney, mais qu’en agissant ainsi directement vous seriez accusée de complicité ; un message me fut confié par vous pour Raja (abréviation du nom de Jinarâjadâsa, vice-président de la Société Théosophique). Wedgwood devait quitter la S.T. et l’E.S., etc. Vous expliquiez qu’il s’était sérieusement compromis et que vous croyiez de votre devoir de protéger le bon renom de la Société. Je pensai alors à une causerie que vous aviez donnée à l’E.S., le dimanche précédent, sur la magie noire et les excès sexuels, et je vous demandai si vous aviez voulu faire allusion au cas de Wedgwood ; vous me répondîtes que oui… Alors surgit la question de l’initiation de Wedgwood. Vous me dîtes qu’il n’était pas un initié… En Amérique, après que je vous eus quittée, certaines personnes vinrent me voir : elles avaient appris que la vérité concernant Wedgwood allait enfin être dévoilée, et elles m’expliquèrent qu’à Londres il avait confessé son mal à l’une d’elles… Quand j’atteignis Sydney, Raja reçut le message avec une répugnance évidente… Le point le plus important pour lui devint le démenti que vous apportiez à l’initiation de Wedgwood, et je m’aperçus vite que la chute de ce dernier n’impliquait rien de moins pour lui que l’effondrement de Leadbeater en tant qu’Arhat, de la divine autorité de l’Église catholique libérale, de toute croyance en la réalité des initiations supposées, de la reconnaissance de certaines personnes comme disciples, etc. Toutes choses qui concernaient beaucoup de personnes. Au point de vue de Raja, cela ne devait être admis à aucun prix, il y allait de la paix des membres et de la cause en général… J’ai découvert ensuite que Raja est un écho de Leadbeater ; celui-ci communique directement son occultisme et Raja l’accepte aveuglément… Vraiment, je ne voudrais pas avoir à considérer Leadbeater et Wedgwood comme des monstres qui cachent leurs pratiques illicites sous le voile d’intérêts humanitaires et qui agissent avec l’ingénuité habile et la ruse qu’on rencontre souvent dans de tels cas. Tel est cependant l’opinion de bien des gens ; je voudrais éviter d’avoir à reconnaître l’exactitude de pareilles critiques, et je m’accrocherais avec plaisir à toute autre explication raisonnable de ces faits. » – Au cours des deux années qui suivirent les incidents dont on vient de lire le récit, les dignitaires de l’Église catholique libérale compromis dans cette histoire malpropre ne semblent pas avoir été inquiétés très sérieusement ; si la police anglaise les recherchait, certaines influences agissaient sans doute pour empêcher qu’elle ne les trouvât. Le 28 février 1922, l’un d’eux, Reginald Farrer, envoya à Mme Besant sa démission de membre de la « Co-Maçonnerie », accompagnée de ces aveux : « L’imputation portée contre moi, ainsi que contre Wedgwood, King et Clark, contenue dans la lettre de M. Martyn, n’est que trop fondée. Mais je vous prie de prendre en considération que je fus incité au vice par ceux que je considérais comme de beaucoup mes supérieurs moralement et spirituellement… La raison pour laquelle j’écris cette lettre est l’espoir d’alléger ma conscience… Wedgwood refuse absolument de cesser de mal faire… Encore une fois Acuna, qui est entaché de ce vice, a été le parrain d’un de ses « amis » dans la Loge Émulation. » Cette lettre fut confiée à M. W. Hamilton Jones, qui rapporte que, le jour même, Farrer quitta l’Angleterre, tandis que lui-même rencontrait Wedgwood qui avait été prévenu par une lettre anonyme qu’il serait arrêté s’il ne quittait pas l’Europe avant le 1er mars ; il protestait de son innocence, mais disparut le même soir. Et M. Hamilton Jones ajoute : « J’avais foi en Wedgwood jusqu’à ce que, tout récemment, j’eus connaissance de faits de telle nature qu’ils m’enlevèrent mes dernières illusions sur son compte. » En quittant l’Angleterre, Wedgwood vint à Paris, où il établit une branche de l’Église catholique libérale, qui, le 5 mars, fut installée provisoirement à l’église anglicane, 7, rue Auguste-Vacquerie, et qui, sous le nom d’« Église libre catholique de France », se constitua aussitôt en association déclarée conformément à la loi ; cette déclaration parut au Journal Officiel du 13 avril 1922. Certains dirent que Wedgwood était passé ensuite en Amérique, tandis que d’autres prétendirent qu’il se cachait tout simplement en France ; quoi qu’il en soit, on fut assez longtemps sans savoir ce qu’il était devenu ; mais, comme il a reparu depuis lors, non seulement à Paris, mais même à Londres, il faut croire que son affaire a fini par être arrangée, sans doute grâce à certaines influences politiques. Quant à son église parisienne, elle fut, au bout de peu de temps, transférée 72, rue de Sèvres, et elle publia alors un manifeste dont nous reproduirons ce passage : « L’Église libre catholique ne veut s’opposer à aucune Église, à aucun groupement religieux ou laïque, mais au contraire travailler dans la paix et la charité, offrant son ministère à toutes les âmes de bonne volonté. Elle aspire à étudier d’accord avec toutes les confessions chrétiennes les bases de l’union nécessaire pour que l’Église universelle puisse travailler effectivement à l’œuvre du Royaume de Dieu ; aussi adhère-t-elle pleinement au programme de la conférence Foi et Discipline qui groupe la plus grande partie des Églises chrétiennes. Loin donc de s’isoler dans un égoïsme stérile, elle tend à réaliser une catholicité véritablement traditionnelle basée sur la Foi apostolique, unie, non par une uniformité extérieure et imposée, mais dans un respect mutuel et une affection fraternelle, travaillant à élever le monde jusqu’à la sainteté, l’union à Dieu dont le Royaume de justice et d’amour est le terme de la création. » L’œuvre du « Royaume de Dieu », c’est l’avènement du nouveau Messie théosophiste ; pour ce qui est de la « sainteté » de l’Église de Wedgwood et de Leadbeater, on pourra, par ce qui précède, l’apprécier en pleine connaissance de cause ! Nous y joindrons encore l’information suivante, tirée d’un article paru dans une revue américaine (The O. E. Library Critic, 5 février 1919), et qui nous fixe par surcroît sur la valeur de son « apostolicité » : « Les faits prouvent en réalité que la succession apostolique de Wedgwood est frauduleuse, ayant été reçue d’un prélat interdit, un Willoughby, qui a été expulsé de l’Église vieille-catholique (de l’évêque Mathew), comme il l’avait déjà été auparavant de l’Église anglicane, à cause de l’immoralité grossière de sa vie, immoralité qui, en résumé, consistait dans des relations vicieuses avec des garçons confiés à ses soins. C’est de ce défroqué et de ce perverti que M. Wedgwood reçut le droit d’être considéré comme suivant la ligne directe des Apôtres et du Christ lui-même et de passer ce droit à d’autres, y compris Leadbeater et divers prêtres en Amérique. Chaque prêtre de l’Église catholique libérale doit faire remonter son ascendance spirituelle jusqu’à ce cloaque moral. » Et un membre de la Loge de Sydney, dans une notice sur « la validité de l’ordination dans l’Église catholique libérale », écrite en 1921, conclut ironiquement : « M. Leadbeater a très souvent proclamé que, grâce à sa clairvoyance, il savait distinguer entre un vrai prêtre de la succession apostolique et un dissident. Le premier seul savait rendre lumineuse l’hostie durant la célébration de la messe. Et voici qu’à la première épreuve publique, il s’est laissé « consacrer, » par un faux prêtre sans s’en apercevoir ! » – En ce qui concerne l’« Église libre catholique de France », il faut ajouter que les théosophistes ont eu quelques difficultés : l’évêque Winnaert, qui avait été placé à sa tête après avoir été consacré par Wedgwood, est un ancien prêtre catholique romain (il fut curé à Viroflay) qui était passé au schisme d’Utrecht et avait desservi pendant quelque temps la chapelle « vieille-catholique » située boulevard Blanqui ; lorsque parurent les lettres des « Mahâtmâs » à Sinnett (voir chapitre V, note additionnelle A), il fit entendre une protestation contre l’esprit qui inspirait ces lettres, et qu’il jugeait athée et matérialiste ; Mme Besant vint à Paris tout exprès pour s’expliquer avec lui, et il y eut une réconciliation, mais qui ne fut que de courte durée. Finalement. M. Winnaert abandonna l’obédience théosophiste en 1924, pour le même motif, à la suite de la publication du livre de M. Jinarâjadâsa intitulé Les premiers enseignements des Maîtres ; il s’expliqua longuement à ce sujet dans son bulletin (L’Unité Spirituelle, juillet-août 1924), et sa lettre de démission, adressée à Wedgwood le 30 juillet, se terminait par ces lignes : « Je me vois forcé de dénoncer tout lien, si petit soit-il, avec l’« Église catholique libérale » qui n’est désormais pour moi qu’une contrefaçon d’Église et une entreprise bon gré mal gré peu loyale pour attirer les âmes et faire pénétrer, suivant vos propres paroles, les enseignements théosophiques dans les chaires chrétiennes. Je n’aurais jamais accepté la consécration épiscopale de pareille source si j’avais pu soupçonner toute la mystique secrète qui existait derrière l’« Église libérale » ; je tiens à souligner le fait qu’on m’a laissé ignorer entièrement sous quelles influences occultes elle avait été fondée et par qui elle se prétendait orientée. Je croyais avoir rencontré une Église traditionnelle, mais libérée d’une théologie surannée ; en fait, il s’agissait de glisser sous des étiquettes chrétiennes des idées totalement étrangères au christianisme, quand elles ne lui sont pas opposées. Malgré mes sentiments de sympathie pour les personnes, je ne puis me faire complice, même d’une façon lointaine, de pareille entreprise. » Les théosophistes ont donc dû, lors d’un nouveau passage de Wedgwood à Paris, réorganiser leur « Église catholique libérale », qui a maintenant son siège rue Campagne-Première. – Dans la lettre collective qu’ils adressèrent à Mme Besant le 11 février 1923, les membres de la branche Agni n’hésitèrent pas à stigmatiser l’Église catholique libérale, qui tend de plus en plus à s’identifier avec le théosophisme même, comme « une secte pourvue d’une morale particulière qu’aucune religion n’a encore enseignée et dont la propagation serait une de ces œuvres de ténèbres que le christianisme attribue aux suppôts de Satan et l’occultisme théosophique aux adeptes de la magie noire ». Or il est indéniable que la propagation de cette morale spéciale a de zélés partisans : dans son apologie de Leadbeater, que Mme Besant a déclaré avoir été écrite sous une « haute influence », le Dr Van Hook présente l’explication des méthodes soi-disant « prophylactiques » de cet étrange éducateur comme une révélation par laquelle « la théosophie rendra au monde un service dont les conséquences s’étendront jusqu’au plus lointain avenir du progrès humain ». On nous dit d’autre part que « les membres de l’E.S. se trouvent déjà dans l’alternative de défendre ces abominations et de se solidariser avec elles, ou de démissionner ». Voilà donc, très probablement, les « choses contraires à sa conscience » dont parlait M. Chevrier, qui, pour sa part, a préféré démissionner, ce qui est tout à son honneur ; dans de pareilles conditions, les démissionnaires de Nice ont bien raison de prévoir « un avenir sinistre pour la Société Théosophique ». Dans d’autres milieux analogues, spirites et occultistes, il y a aussi des dessous assez répugnants ; nous les avons signalés dans L’Erreur spirite (pp. 316-327), en nous bornant d’ailleurs, comme ici, à citer des faits et des témoignages ; mais ce qu’il y a de nouveau dans l’affaire dont nous avons à nous occuper présentement, et ce qui lui donne une particulière gravité, c’est la prétention de répandre dans le « monde extérieur » les théories et les pratiques de Leadbeater et de ses associés ; quelles intentions vraiment « diaboliques » peuvent bien se cacher là-dessous ? Quelques questions posées par les membres d’Agni à Mme Besant aideront peut-être à les pénétrer : « Ce n’est plus de M. Leadbeater seul qu’il s’agit, et le système d’après lequel on tâche de « guérir les adolescents de leurs habitudes vicieuses », ce système pratiqué par lui, préconisé, avec votre approbation, par le Dr Van Hook, est adopté par la communauté entière. Ainsi prend corps la conception d’ordre spéculatif que vous aviez exposée dans votre article du Theosophist. Une règle de morale en découle, avec une captieuse logique : les Êtres qui président à l’évolution n’ont-ils pas libéré Mme Blavatsky de ses mauvais éléments karmiques en les lui faisant résoudre en actes ? Pourquoi alors leurs disciples, les Initiés de Sydney, n’useraient-ils pas d’un moyen analogue pour libérer des enfants des vices futurs qu’ils aperçoivent dans leur aura ? Une objection se présente toutefois à l’esprit de ceux même qu’émeuvent de tels arguments : les pratiques dont il s’agit, jointes à la crainte de la femme qu’on inspire en même temps aux « sujets », ne tendent-elles pas à détruire chez eux un attrait qui, lorsqu’il se transforme en amour, donne à l’acte procréateur un caractère sublime et divin ? De quel droit imposerait-on un frein à ce mobile qui agit sur tous les plans et rentre dans le Dharma (la loi) de notre humanité ? Dans divers pays, en Angleterre notamment, le législateur n’en a-t-il pas eu l’intuition en punissant comme un crime la dépravation qui affecte l’instinct génésique auquel la race doit sa conservation ? Cette objection, vous semblez l’avoir prévue. Comme pour y parer d’avance, vous commencez par faire sentir à ceux qui pourraient la soulever leur incompétence dans cette matière qui préoccupe aujourd’hui le monde religieux aussi bien que le monde savant, et dont un des points principaux porte sur le néo-malthusianisme que vous avez prêché jadis, combattu plus tard, et dont vous constatez aujourd’hui le progrès dans l’opinion publique, naguère encore soulevée contre lui. Ou cette allusion n’a aucun sens, ou son sens le voici : le même revirement s’accomplira bientôt au sujet de la doctrine Leadbeater-Van Hook et des pratiques qu’elle formule. Ce revirement s’accentuera à mesure que « le processus de développement mental déterminera l’affaiblissement de l’instinct sexuel et du pouvoir créateur physique ». Est-ce donc que vous considérez comme désirable la fin de la sous-race ? Prépare-t-elle, selon vous, l’avènement d’une sous-race nouvelle, la sixième, où commencera, dans une humanité en travail d’évolution boudhique, le retour de l’androgynie initiale et finale ? Et, dès lors, estimez-vous moral, c’est-à-dire conforme à l’évolution, tout ce qui est fait pour accélérer cette fin et cet avènement ? On pourrait le croire d’après certains de ces propos qui filtrent à travers les parois de l’E.S. pour se répandre subtilement dans le corps de la S.T. » Nous ne pouvons ni ne voulons développer ici tout ce qu’impliquent les dernières lignes de cette citation ; on y retrouverait, sous la phraséologie propre aux théosophistes, un écho de certaines idées qui semblent venir de beaucoup plus loin, mais qu’ils ont, comme toujours, grossièrement matérialisées. Nous ajouterons seulement qu’un écrivain qui paraît très bien informé a signalé que le « revirement de l’opinion » dans le sens qui vient d’être indiqué se présente comme faisant partie d’un plan bien défini, que « tout se passe présentement comme si certains protagonistes des mauvaises mœurs obéissaient à un mot d’ordre » (Jean Maxe, Cahiers de l’Anti-France, sixième fascicule). Ce mot d’ordre, ce ne sont sûrement pas les dirigeants du théosophisme qui l’ont donné ; mais ils y obéissent, eux aussi, et, consciemment ou non, ils travaillent à la réalisation de ce plan, comme d’autres y travaillent également dans leurs domaines respectifs. Quelle formidable entreprise de détraquement et de corruption se cache derrière tout ce qui s’agite actuellement dans le monde occidental ? On arrivera peut-être à le savoir un jour ; mais il est à craindre qu’il ne soit alors trop tard pour combattre efficacement un mal qui gagne sans cesse du terrain et dont la gravité n’échappera qu’aux aveugles : qu’on se souvienne de la décadence romaine ! [Note additionnelle de la seconde édition.] [6] Cette Église avait son siège dans l’ancienne chapelle swedenborgienne de la rue Thouin. [7] En ces dernières années, M. Jounet avait adhéré à la Société Théosophique, mais il s’en retira au bout de fort peu de temps. [B] Il est curieux de noter que l’expression d’« Église vivante », appliquée par Mme Besant à son « Église catholique libérale », devait un peu plus tard servir de dénomination, en Russie, à une organisation « moderniste » constituée, avec l’appui du gouvernement bolcheviste, pour faire concurrence à l’Église orthodoxe. On veut insinuer ainsi que cette dernière doit, par opposition, être considérée comme une « Église morte » ; et sans doute Mme Besant a-t-elle eu précisément la même intention à l’égard de l’Église catholique romaine. [Note additionnelle de la seconde édition.] [8] The Vahan, organe officiel de la Société Théosophique, 1er juin 1918 ; The Messenger, de Krotona (Californie), septembre 1918. – Les théosophistes américains demeurés fidèles à Mme Besant ont choisi Krotona pour y établir leur quartier général, parce que cette localité porte le nom de celle où Pythagore institua son école, et aussi parce que la Californie, où les sectes occultes sont particulièrement nombreuses et florissantes, est désignée comme devant être le berceau de la « sixième race-mère ». En août 1917, M. Wedgwood a installé à Krotona une église vieille-catholique, qui a pour curé le Rév. Charles Hampton. [C] L’ouvrage de Leadbeater sur La Science des Sacrements a paru, non seulement en anglais, mais aussi en traduction française ; outre les explications soi-disant obtenues par « clairvoyance », ce gros volume contient une comparaison de la liturgie de l’Église catholique libérale avec celle de l’Église catholique romaine, comparaison qui est instructive en ce qu’elle montre que la première a été modifiée assez adroitement pour préparer les esprits à accepter les théories théosophistes, sans toutefois enseigner celles-ci ouvertement, car, bien entendu, il n’est nullement nécessaire d’adhérer à la Société Théosophique pour faire partie de l’Église catholique libérale ; on a donc glissé dans cette liturgie une foule d’allusions peu compréhensibles pour le grand public, mais très claires pour ceux qui connaissent les théories en question. D’autre part, nous devons signaler aussi que le culte du Sacré Cœur est utilisé de la même façon, comme étant en étroite relation avec la venue du nouveau Messie (nous avons déjà vu que Krishnamurti et son entourage, considérés comme les disciples directs du Bodhisattwa, sont dits « appartenir au cœur du monde ») : d’après un renseignement qui nous est venu d’Espagne, on prétend que « le Règne du Sacré Cœur sera celui de l’Esprit du Seigneur Maitreya, et, en l’annonçant, on ne fait pas autre chose que dire sous une forme voilée que son avènement parmi les hommes est proche ». – Il y a mieux encore : ce n’est plus seulement la liturgie, c’est maintenant l’Évangile lui-même qui est altéré, et cela sous prétexte de retour au « Christianisme primitif » ; on met en circulation, à cet effet, un prétendu Évangile des Douze Saints, qu’on affirme être l’« Évangile originel et complet ». La présentation en a été faite dans un petit volume intitulé Le Christianisme primitif dans l’Évangile des Douze Saints, par E. Francis Udny, « prêtre de l’Église catholique libérale » ; il est bon de noter que, au moment où ce livre fut écrit, on laissait encore subsister une certaine ambiguïté sur la personne du futur Messie, puisqu’il y est dit qu’il se pourrait que le Christ « choisisse, dans chaque pays, une individualité qu’il guiderait et inspirerait d’une manière spéciale », de façon à pouvoir, « sans avoir l’obligation de parcourir corporellement le monde, parler quand il le voudrait, dans tel pays de son choix convenant le mieux à son action » (p. 59 de la traduction française). Le titre nous avait fait supposer tout d’abord qu’il s’agissait de quelque Évangile apocryphe, comme il en existe un assez grand nombre ; mais nous n’avons pas été longtemps à nous rendre compte que ce n’était qu’une simple mystification. Ce prétendu Évangile, écrit en araméen, aurait été conservé dans un monastère bouddhique du Thibet, et la traduction anglaise en aurait été transmise « mentalement » à un prêtre anglican, M. Ouseley, qui la publia ensuite. On nous dit d’ailleurs que le pauvre homme était alors « âgé, sourd, physiquement affaibli ; sa vue était des pires et sa mentalité fort ralentie ; il était plus ou moins cassé par l’âge » (p. 26) ; n’est-ce pas avouer que son état le disposait à jouer dans cette affaire un rôle de dupe ? Nous passons sur l’histoire fantastique qui est racontée pour expliquer l’origine de cette traduction, qui serait l’œuvre du « Maître R. », lequel, comme on l’a vu précédemment (note additionnelle B du chapitre XIII), fut autrefois François Bacon ; on prétend même qu’on y reconnaît le style de celui-ci, en comparant cette traduction à la « Version autorisée » de l’Église anglicane ou « Bible du roi Jacques », dont il serait le principal auteur. Notons en passant, à ce propos, que l’Église catholique libérale est placée sous le patronage spécial de saint Alban, qui serait encore une « ancienne incarnation du Maître » (p. 39), et cela parce que Bacon portait, entre autres titres, celui de vicomte de Saint-Alban. Il y aurait dans tout cela des assertions vraiment extraordinaires à relever, notamment en ce qui concerne certaines « morts feintes » des « Maîtres » ou de leurs disciples « avancés » ; nous nous bornerons à en citer une à titre de curiosité : « Au cours du dernier siècle, une autre mort feinte à noter fut celle du maréchal Ney, un Frère (sic), le brave des braves, qui vécut de longues années après son exécution supposée en France, citoyen respecté de Rowan County, Caroline du Nord » (p. 136). Mais ce qui est plus intéressant, c’est de savoir quels sont les enseignements spéciaux contenus dans l’Évangile en question, et qu’on dit être « une partie essentielle du Christianisme originel, dont l’absence a tristement appauvri et appauvrit encore cette religion » (p. 4). Or ces enseignements se ramènent à deux : la doctrine théosophiste de la réincarnation, et la prescription du régime végétarien et antialcoolique cher à certain « moralisme » anglo-saxon ; voilà ce qu’on veut introduire dans le Christianisme, tout en prétendant que ces mêmes enseignements se trouvaient aussi jadis dans les Évangiles canoniques, qu’ils en ont été supprimés vers le IVe siècle, et que l’Évangile des Douze Saints a seul « échappé à la corruption générale ». À vrai dire, la supercherie est assez grossière, mais il est malheureusement encore trop de gens qui s’y laisseront prendre ; il faudrait bien mal connaître la mentalité de notre époque pour se persuader qu’une chose de ce genre n’aura aucun succès. On nous fait d’ailleurs prévoir une entreprise de plus grande envergure : « L’auteur, est-il dit en effet dans le même livre, a lieu de croire qu’une Bible nouvelle et meilleure sera, sous peu, mise à notre disposition, et que l’Église catholique libérale l’adoptera probablement ; mais il est seul responsable de cette opinion, n’ayant pas été autorisé par l’Église à l’affirmer. Pour que la question puisse se poser, il faut naturellement que la Bible meilleure ait paru » (p. 41). Ce n’est encore là qu’une simple suggestion, mais il est facile de comprendre ce que cela veut dire : la falsification va être étendue à l’ensemble des Livres saints ; nous sommes donc prévenus, et, chaque fois qu’on annoncera la découverte de quelque manuscrit contenant des textes bibliques ou évangéliques jusqu’ici inconnus, nous saurons qu’il convient de se méfier plus que jamais. [Note additionnelle de la seconde édition.] [9] The Messenger, de Krotona, novembre 1918. |
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