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Correspondance avec Louis Cattiaux, René Guénon, éd. non publié, 1947-1950 |
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Le Caire, 8 juin 1949 Cher Monsieur, Il n’y a qu’une huitaine de jours que j’ai reçu votre lettre du 13 avril ; vous voyez que la vitesse des communications ne s’améliore toujours pas, et je ne crois pas que ce ne soit dû qu’à la poste restante. Je vous remercie de m’offrir si aimablement de m’envoyer un cadre pour votre peinture, mais plus j’y pense, plus il me paraît à peu près impossible qu’il parvienne sans accident, de sorte qu’en définitive il vaudra sans doute mieux que je trouve moyen de faire arranger cela ici même. Pour la matière du centre, vous parlez d’un « exsudat de roche » ; cela me rappelle quelque chose dont j’ai entendu parler autrefois, que certains hermétistes appelaient « beurre de montagne » et à quoi ils paraissaient attacher une grande importance ; je me demande s’il ne s’agirait pas de la même substance… Je n’avais jamais entendu parler de la revue « Élites Françaises » (ce pluriel me fait toujours l’effet d’un fâcheux contresens) ; si vous avez la possibilité de me faire envoyer ce numéro spécial, je serais très heureux de pouvoir faire la connaissance de votre logis… et de votre chat ; mais vous-même ne figurez-vous pas dans ces photographies ? Vous dites qu’il n’y a pas de hasard ; non seulement je suis entièrement d’accord avec vous là-dessus, mais cela me paraît même une chose tout à fait évidente ; au fond, le hasard n’est qu’une pseudo-idée inventée par les Occidentaux pour ne pas avouer qu’il y a des choses dont les causes leur échappent, ou qui refusent de se plier à leur manie des explications rationnelles. Je vous félicite de votre admiration pour le Corân, qui prouve que, malgré toute l’imperfection des traductions, vous en sentez la signification réelle ; c’est tout de même dommage que vous n’ayez pas persisté dans votre intention d’apprendre l’arabe, ce qui vous aurait sûrement permis d’y trouver bien plus encore… Je ne comprends que trop combien il doit vous déplaire de vivre dans le milieu européen actuel ; je m’estime heureux d’avoir pu sortir avant qu’il ne soit tombé à ce niveau, car tout ce que j’en apprends me montre à quel point les choses se sont aggravées depuis une vingtaine d’années, et pourtant ce n’était déjà certes pas merveilleux à cette époque. La grossièreté dont vous parlez ne m’étonne pas ; cela va d’ailleurs avec tout le reste ; quand les gens ont perdu leur tradition, ils ne peuvent que s’abaisser toujours de plus en plus et à tout les points de vue, jusqu’à ce que cela aboutisse à une catastrophe s’ils ne peuvent pas se redresser à temps pour l’éviter. Oui, comme vous le dites, tout est truqué aujourd’hui ; on veut obliger les gens à vivre artificiellement pour les changer plus facilement en des sortes de machines, et la médecine a sûrement un grand rôle à jouer dans la réalisation de ce plan diabolique. Je regrette souvent de n’avoir ni le temps ni la facilité d’examiner de plus près la dite médecine avec toutes les précisions voulues ; il serait bien à souhaiter qu’il se trouve quelqu’un qui puisse et ose entreprendre cette tâche. Je suis content de savoir que votre ami Théophile Briant a bien compris les raisons pour lesquelles je ne reçois pas de visiteurs occidentaux ; il y a des gens qui ne veulent ou qui ne peuvent pas les comprendre, et qui se froissent parce qu’ils s’imaginent, bien à tort, qu’il s’agit d’une exclusion les visant personnellement, alors que c’est tout simplement une mesure d’ordre général destinée à assurer ma tranquillité ; je ne parle pas de ceux qui, pour pouvoir raconter des mensonges, prétendent m’avoir rencontré ici alors que je ne les ai jamais vu de ma vie… Je ne savais pas que Lanza del Vasto avait été aussi avec Ivanoff ; encore un personnage bien sinistre et qui a fait de nombreux dupes ; il paraît même que, malgré ce qui lui est arrivé, certains n’en sont pas revenus, et se proposent d’obtenir sa réhabilitation. Gurdjieff est d’un tout autre genre, mais il n’est pas moins inquiétant ; il exerce sur ses disciples une véritable fascination, qui témoigne assurément d’une force psychique peu ordinaire, mais qui, spirituellement, est un signe très défavorable ; du reste tous les prétendus « maîtres » qui ne relèvent d’aucune forme traditionnelle déterminée sont par là même à éviter purement et simplement. Merci pour le compte rendu de l’expérience de voyance que vous avez joint à votre lettre ; il faut souhaiter que cela se vérifie, car en somme, avec tout les bruits de guerre prochaine qui courent un peu partout, c’est plutôt rassurant. Ce que vous me dites des conditions dans lesquelles ce travail a été fait, ainsi que les prédictions antérieures qui se sont déjà réalisées, paraît bien indiquer qu’il y a là quelque chose de vraiment sérieux. Par contre, il y a toujours lieu de se méfier des « professionnels », même quand il ne s’agit nullement de charlatans, et notamment parce qu’ils sont tous plus ou moins en contact avec les milieux spirites ou occultistes, et que les idées qu’ils en reçoivent déforment inévitablement ce que leurs facultés naturelles leur permettent d’apercevoir ; ainsi, quand un voyant se met à raconter des histoires de réincarnations, il n’y a pas besoin de pousser les choses plus loin pour savoir à quoi s’en tenir. D’autre part, vous avez raison sur les réserves à faire sur les dates, car il semble bien que ce soit là une des choses les plus difficiles à déterminer exactement ; il est d’ailleurs facile de comprendre qu’il y ait des états où la notion de temps terrestre a disparu plus où moins complètement. […] René Guénon |
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